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de Schœnberg, le protecteur de Grimm, était, en Saxe, conseiller privé, ministre du cabinet, et, nous l’avons dit, ambassadeur près la diète. Il eut deux fils, dont le second entra au service de son pays et suivit exactement la même carrière que son père, tandis que l’aîné, Gottlob, entra au service de France, devint lieutenant-général et ne quitta notre pays qu’à la révolution. C’est avec celui-ci, plus jeune que lui de trois ans, que Grimm s’était lié sur les bancs de l’école : « C’est mon ami depuis l’âge de onze ans, écrivait-il à Catherine en 1790 ; il risque d’être ruiné de fond en comble par la sublime assemblée nationale, ainsi que tout le militaire de France ; mais il est philosophe et il n’a qu’une passion : c’est celle de la bonne femme. » (Catherine elle-même.) M. Tourneux a découvert et publié cinq lettres du général Schomberg à Grimm, auxquelles il en faut ajouter trois communiquées par Grimm à la tsarine. Ces lettres sont intéressantes à plus d’un titre. Schomberg s’y montre admirateur enthousiaste de Frédéric, de Catherine et de Voltaire, qu’il n’appelle que l’homme admirable. Il a conservé le goût des lettres, cite son Horace et se console dans l’émigration par la lecture de Plutarque, grâce auquel, dit-il, il est parvenu à se rendre presque aussi heureux que s’il était mort. Pessimiste prononcé, bien que sans aigreur, il se raille des profondeurs de sagesse et de bonté qu’on attribue à la Providence. Ses relations avec Grimm, après cinquante années de connaissance, étaient restées des plus affectueuses : « Veuillez, lui demande-t-il, écrire de temps en temps quelques lignes à votre ami le plus ancien, le plus fidèle et le plus tendre. »

Le second des fils du comte de Schœnberg, celui qui revêtit des fonctions publiques en Saxe, avait huit ans de moins que son frère, de sorte que Grimm, qui avait été le camarade de l’un put être le précepteur de l’autre. Il l’avait eu pour élève pendant quatre ans, dit-il à Catherine en le recommandant pour un cordon de Saint-André.

Mais revenons au collégien que nous avons laissé au gymnase de Ratisbonne, envoyant à Gottsched des épîtres tout émues de crainte et d’admiration. Il annonce, dans une seconde lettre, un nouveau fruit de sa veine poétique. Il a fini par se procurer le Théâtre allemand, et il s’est mis en tête de faire, lui aussi, une tragédie. Melchior en est déjà au troisième acte ; il espère avoir fini pour l’époque de la foire et envoyer alors son ouvrage à Gottsched pour le soumettre à son jugement. Il faudra que le maître soit bien difficile pour ne pas être satisfait, car son disciple lui apprend qu’avant de se mettre à l’œuvre, il a eu soin de lire la Poétique du professeur, et il l’assure qu’il s’est appliqué à observer les trois unités et toutes