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de la Foire que conserva longtemps l’Opéra-Comique. Le grand Opéra, qui avait le privilège de la musique et de la danse, vendait aux entrepreneurs du spectacle de la Foire l’autorisation de faire chanter et sauter ses acteurs. Telles sont les conditions dans lesquelles fut donnée, en 1757, une pièce qui, je le répète, fit une révolution. Le Peintre amoureux de son modèle était de Duni, un Napolitain établi à Paris depuis quelques années et qui mettait de la musique italienne sur des paroles françaises. En vain Grimm avait-il protesté jadis, au nom des principes, contre le passage du dialogue au chant et du chant au dialogue ; le bon goût, d’après lui, aurait exigé une déclamation intermédiaire entre le chant et la parole, en d’autres termes un récitatif. Il n’en fut pas moins charmé par le caractère de la musique qu’il entendait et finit par admirer franchement le genre qui venait de prendre fortuitement naissance. Sedaine, dont Grimm appréciait le talent autant qu’il dédaignait celui de Favart, fut pour quelque chose dans cette espèce de conversion ; mais les vrais séducteurs furent Philidor et Grétry. Duni, le fondateur du genre, continue de charmer le critique ; il est Italien, cela lui suffit. Pour Monsigny, il reste constamment assez froid, ne lui accorde que de « maigres talens. » C’est aussi par la froideur qu’il commence avec Philidor; peu à peu, cependant, la glace se fond, et notre mélomane prend une assez vive inclination pour ce musicien qui a su se mettre à l’école de l’Italie. Il est amusant de suivre la progression de l’éloge, non-seulement d’un opéra à l’autre, mais au sujet de la même pièce. « Il y a dans la musique de très belles choses, » tel est, au début, le jugement sur Tom Jones. L’ouvrage est repris l’année suivante, et Grimm se plaît à y reconnaître le nerf et la chaleur. Encore deux ans, et Tom Jones devient « le plus bel ouvrage qui soit au théâtre. » Quant à Grétry, l’écrivain fut gagné du premier coup. Il faut lire son compte-rendu de ce Huron, qui révéla le talent du nouveau-venu et, du jour au lendemain, lui conféra la célébrité. « Ce M. Grétry est un jeune homme qui fait ici son coup d’essai, mais ce coup d’essai est le chef-d’œuvre d’un maître et élève l’auteur sans contradiction au premier rang. Il n’y a dans toute la France que Philidor qui puisse se mesurer avec celui-là, et espérer de conserver sa réputation et sa place... Grétry entraîne d’une manière plus douce, plus séduisante, plus voluptueuse; sans manquer de force lorsqu’il le faut, il vous ôte par le charme de son style la volonté de lui résister. Du côté du métier, il est savant et profond, mais jamais aux dépens du goût. La pureté de son style enchante : le plus grand agrément est toujours à côté du plus grand savoir. Depuis le grand tragique jusqu’au comique, depuis le gracieux jusqu’aux finesses d’une déclamation tranquille et sans