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du Mozart. « Mlle Mozart, âgée maintenant de treize ans, d’ailleurs fort embellie, a la plus belle et la plus brillante exécution sur le clavecin. Il n’y a que son frère qui puisse lui enlever les suffrages. Cet enfant merveilleux a actuellement neuf ans. Il n’a presque pas grandi, mais il a fait des progrès prodigieux dans la musique. Il était déjà compositeur et auteur de sonates il y a deux ans ; il en a fait graver six depuis à Londres, en a publié six autres en Hollande, et a composé des symphonies à grand orchestre qui ont été exécutées et généralement applaudies ici. Je ne désespère pas qu’avant d’avoir douze ans il n’ait déjà fait jouer un opéra sur quelque théâtre d’Italie. Ce qu’il y a de plus incompréhensible, c’est cette profonde science de l’harmonie et de ses passages les plus cachés qu’il possède au suprême degré, et qui a fait dire au prince héréditaire de Brunswick, juge très compétent en cette matière comme en beaucoup d’autres, que bien des maîtres de chapelle mouraient sans savoir ce que cet enfant sait à neuf ans... A Londres, Bach le prenait entre ses genoux, et ils jouaient ainsi de tête alternativement, sur le même clavecin, deux heures de suite, en présence du roi et de la reine. Ici il a subi la même épreuve avec M. Raupach, habile musicien qui a été longtemps à Pétersbourg et qui improvise avec une grande supériorité. On pourrait s’entretenir longtemps de ce phénomène singulier. C’est d’ailleurs une des plus aimables créatures qu’on puisse voir, mettant à tout ce qu’il dit et ce qu’il fait de l’esprit et de l’âme avec la grâce et la gentillesse de son âge. Il rassure même par sa gaieté contre la crainte qu’on a qu’un fruit si précoce ne tombe avant sa maturité. »

Ce que Grimm ne dit pas, c’est qu’il était devenu le protecteur le plus actif de la famille Mozart à Paris. Il répandait partout la réputation de ces enfans merveilleux, les introduisait dans les salons, écrivait des dédicaces pour les sonates de Wolfgang, donnait des cadeaux au départ. Le père, dans ses lettres de Paris, par le de notre chroniqueur comme de celui auquel il doit son succès. « Ce M. Grimm, mon grand ami, à qui je dois tout ici, est secrétaire du duc d’Orléans; c’est un homme instruit et d’une grande bonté. Toutes mes autres lettres ne m’auraient servi de rien; M. Grimm seul, pour qui j’en avais une d’un négociant de Francfort, a tout fait. C’est lui qui nous a introduits à la cour, c’est lui qui a pris les soins nécessaires pour notre premier concert. A lui seul il m’a payé quatre-vingts louis d’or, c’est-à-dire qu’il a placé trois cent vingts billets ; il a par-dessus le marché payé l’éclairage, et il y avait plus de soixante bougies ; c’est lui qui nous a obtenu l’autorisation pour notre concert, et qui s’occupera du second, pour lequel cent billets déjà sont placés. Voilà ce que peut un homme qui a du sens