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répondre, il justifia ses retards en alléguant la nécessité où il s’était trouvé de faire rechercher dans les archives du royaume le relevé des sommes fournies par la Prusse aux princes français. « Ces sommes s’élevant à 6 millions en espèces sonnantes, dit M. d’Haugwiz à M. de Krudener, non comprises les dépenses énormes qu’a faites la Prusse pour relever le trône des Bourbons ; le roi, quoique très sensible aux malheurs de cette auguste famille, doit à son peuple de mettre un terme aux libéralités de sa maison. Mais, si j’en puis juger par quelques propos échappés au général de Beurnonville, bien que je me sois gardé de lui parler de cet objet, la France elle-même ne serait pas éloignée de pourvoir à l’entretien des princes français, en leur procurant un petit établissement. »

Ce langage étonna M. de Krudener. Il fit observer que la proposition du tsar s’adressait uniquement au cœur du roi de Prusse, qu’il ne pouvait être question d’une charge onéreuse au trésor de l’état, mais d’un concert entre les têtes couronnées pour assurer la subsistance d’un prince déchu du trône. Quant aux propos attribués au général de Beurnonville, il pensait que ce diplomate avait, en cette occasion, consulté son cœur et non son gouvernement. « A supposer, ajouta-t-il, que le premier consul soit disposé à écouter des propositions en faveur des Bourbons, ceux-ci répugneraient peut-être à accepter des bienfaits de la main de ceux qui les ont dépouillés. Bonaparte y mettrait sans doute la condition d’une renonciation formelle à laquelle M. le comte de Lille ne souscrira jamais. Une semblable négociation serait-elle d’ailleurs bien sérieuse? Ne cacherait-elle pas, de la part du gouvernement français, le dessein de tenir la maison de France dans une continuelle sujétion, sans vouloir donner jamais de réalités aux espérances que celle-ci pourrait concevoir? — En effet, répliqua M. d’Haugwiz, le premier consul demanderait probablement une renonciation. Mais, dans ce cas, la maison de Bourbon ne devrait pas se faire scrupule d’y souscrire. La situation est telle qu’il ne peut rester aux Bourbons aucun espoir de recouvrer leur couronne, à moins qu’elle leur soit offerte par la nation française elle-même ; et alors, la renonciation cesserait d’être obligatoire. Au surplus, Bonaparte n’a-t-il pas déjà procuré un établissement en Italie à un prince Bourbon ? Pourquoi n’en procurerait-il pas un aux autres en Allemagne? L’Espagne pourrait se charger de la négociation et prêter son nom aux formes. » Ces argumens n’ébranlèrent pas la conviction contraire de M. de Krudener. Il était d’ailleurs sans pouvoirs pour négocier. Les deux diplomates se séparèrent sur la promesse faite par M. d’Haugwiz de revenir à la charge auprès de son souverain.

Il résulte de ce curieux entretien que le roi de Prusse avait eu la même pensée que l’empereur de Russie ; mais tandis que chez le