Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivait le 20 avril : « Tout est changé ici depuis la nouvelle de l’arrestation du duc d’Enghien et l’arrivée de l’estafette expédiée par le résident de Russie à Francfort, qui a appris son jugement. On ne parle que d’une rupture ouverte avec la France et de mesures violentes qui en seraient la suite. L’empereur s’est échappé plusieurs fois en propos contre les Français en ajoutant qu’ils gâtaient ce qu’ils avaient fait de bon. » Le général d’Hédouville signalait en outre la position difficile de son ambassade. Après la mort du petit-fils des Condé, la cour de Russie avait pris le deuil et fait célébrer un service religieux ; elle avait poussé la diète de Ratisbonne à protester contre la violation du territoire badois. L’ambassadeur de France, en énumérant ces actes, préparait son gouvernement au rappel de M. d’Oubril, à l’ordre donné aux sujets russes de quitter la France, à une résurrection de la sympathie du tsar pour Louis XVIII, à une alliance entre la Russie et l’Allemagne, toutes choses dont le langage et l’attitude d’Alexandre ne laissaient que trop prévoir la réalisation.

De son côté, le gouvernement français se répandait en reproches et en plaintes. Le 2 mai, Talleyrand exprimait par écrit ses griefs à M. d’Oubril. « Après l’intervention que le cabinet de Saint-Pétersbourg a voulu prendre aux affaires intérieures de la France, après la conduite qu’il a tenue par rapport à MM. de Vernègues et d’Antraigues, après ce qu’on voit d’incertitude dans les dispositions de ce cabinet relativement aux nouvelles destinées de la France et aux prétentions de la maison de Bourbon, après surtout cette affectation de porter, sans qu’aucun lien de parenté l’exigeât, le deuil d’un homme coupable, tombé sous le glaive des lois pour avoir tramé des assassinats sous l’influence de l’Angleterre, la déclaration qui vient d’être faite à Ratisbonne est un acte qui prouve clairement qu’il n’y a plus aucun moyen pour que la France et la Russie se concilient à l’effet d’intervenir de concert dans les affaires germaniques. La première démarche que fit Paul Ier, de glorieuse mémoire, lorsqu’il voulut se rapprocher de la France, ce fut d’éloigner le comte de Lille de ses états et de lui retirer toute sa protection. » Cette lettre précédait et préparait une rupture qui fut définitivement consommée au mois d’août[1].

Cependant, quoiqu’irrité contre la France, l’empereur de Russie ne laissait pas de désapprouver le voyage de Louis XVIII. Il ne lui dissimula pas qu’il voyait avec peine sa résolution et qu’il l’en aurait dissuadé s’il en avait été averti à l’avance : « Ces démarches

  1. Le 28 de ce mois, M. d’Oubril demanda ses passeports, qui lui furent envoyés le même jour. Depuis le 18, M. de Rayneval, resté à Saint-Pétersbourg comme chargé d’affaires aprè3 le départ de M. d’Hédouville, avait reçu les siens.