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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/889

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du chemin de fer de l’Ouest, que commencent les districts agricoles autour de la ville de Chivilcoy, qui n’a encore de Chicago que la première syllabe, et espère, dans un temps éloigné, rimer autrement que par le radical avec sa grande sœur du Nord, au nom aussi indien que le sien. Ce qui a déterminé l’abandon de cette région à l’agriculteur, c’est précisément la pauvreté de la végétation spontanée qui s’y rencontre ; le pâturage naturel y est assez sauvage pour que le bétail y vive difficilement, le mouton y donne encore une laine rude ; l’expérience une fois faite, les propriétaires ont renoncé à étendre de ce côté la région pastorale et y ont attiré l’agriculteur par l’appât des entreprises à compte à demi. Le travail de l’homme a amélioré rapidement ces terres, que le bétail eût mis un siècle à préparer en prairies à son usage.

Le succès a été assez satisfaisant pour l’agriculteur pour qu’aujourd’hui l’on compte, dans la province de Buenos-Aires, 700,000 hectares occupés par des cultures de toute espèce : le tiers est emblavé et un quart semé en maïs. L’exportation de blé de cette province a été, pour la saison de 1883-1884, de plus d’un million d’hectolitres ; l’exportation des farines, pour le Brésil, s’y développe également chaque année. Des 30 millions d’hectares fertiles dont elle dispose, chiffre considérable si on le compare aux 50 millions d’hectares de terres du même ordre que possède la France, cette province en emploie 17 millions à l’élevage ; 12 millions sont inoccupés, bien que les voies ferrées soient à la veille d’y pénétrer. Aucun des élémens du progrès agricole n’y manque aujourd’hui : sa population, qui était, en 1869, de 209,261 habitans campagnards, s’est élevée, d’après le recensement de 1881, à 326,681, soit une augmentation de 550 pour 1,000, ce qui est supérieur à l’accroissement des États-Unis, dont la population, malgré le renfort énorme d’une immigration annuelle de 750,000 individus, n’a progressé, pendant cette période, que de 330 pour 1,000.

Les raisons historiques que nous avons rappelées au début de cette étude ont pu entraver le progrès dans cette vaste région pampéenne ; il est aujourd’hui en possession définitive d’un sol fécondé et puissamment aidé par les capitaux créés et les lignes de fer, qui avancent depuis quatre ans d’un kilomètre par jour.

Ce résultat, — et c’est là un des faits à retenir, — cette prise de possession par l’agriculteur de la pampa argentine est l’œuvre de paysans de France, de Suisse et d’Italie, venus le plus souvent sans capitaux, ayant créé eux-mêmes les élémens de leur bien-être et l’ayant répandu autour d’eux, ayant acquis par leur travail cette sécurité que donnent des titres de propriété indiscutables. Au moment où la concurrence qu’ils préparent au producteur européen semble inquiétante, il y avait quelque intérêt à les observer au milieu