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les musulmans et dépouillés par les prélats phanariotes, et cependant, nous n’avons pas eu d’apostasies. — Votre culte, lui dis-je, autorise le divorce ; n’en abuse-t-on pas ? — Nullement, me répond-il ; mais on prétend qu’il n’en est pas de même à Bucarest. » Le métropolite habite un grand palais en face de la cathédrale ; l’ameublement n’a rien de luxueux. À côté se trouve le séminaire. Tous les habitans de la Serbie professent le culte orthodoxe, sauf trois mille juifs, d’origine et de langue espagnoles, et environ quinze mille catholiques, la plupart étrangers. Ceux-ci relèvent de l’évêque de Diakovar, dont l’autorité s’étend sur la Serbie, comme précédemment sur la Bosnie.

Je trouve ici avec grand plaisir notre ministre, mon collègue à l’académie de Bruxelles, M. Émile de Borchgrave, qui a écrit une savante étude sur les colonies flamandes et saxonnes de la Transylvanie, et un excellent livre sur la Serbie qui m’a beaucoup aidé dans mes recherches, ainsi que les rapports de M. Alexandre Mason, secrétaire de la légation anglaise. M. de Borchgrave me conduit chez le roi. Je l’avais vu souvent lorsqu’il faisait ses études à Paris, chez mon ancien maître François Huet. Il était alors un bel adolescent, aux yeux de flamme, déjà très fier de son pays. « Voyez, me dit-il un jour, en m’apportant un journal où l’on faisait l’éloge de la Serbie, lisez ceci ! On ne dira plus maintenant que nous sommes des barbares. » Après dix-huit ans, au lieu du jeune collégien, je retrouve un superbe cavalier, très grand, très fort et qui s’appelle Milan Ier, roi de Serbie. Quel changement de toutes façons ! Il a conservé le souvenir le plus affectueux de la France et de M. et de M me Huet, qui ont été pour lui comme un père et une mère. C’est en 1868 qu’il a été appelé brusquement à succéder à son cousin le prince Michel, assassiné dans le parc de Topchidéré. Le roi est très occupé de son budget, qu’il connaît jusque dans ses menus détails. Il est satisfait d’avoir vu passer les recettes de 13 millions en 1868, année de son arrivée au pouvoir, à 34 millions en 1883. « Et nous n’en resterons pas là, ajoute-t-il, car les impôts sont mal assis. Ils pourraient rendre le double, sans accabler les contribuables. » — Je me permets de remarquer que le gonflement des budgets est une maladie propre à tous les états modernes, mais qu’il faut la combattre, sous peine de la voir devenir mortelle.

Le fait est que le système financier est encore très primitif. L’impôt direct est fixé, non sur la terre, mais par « tête contributive, » porezka glava. Le maximum de cette taxe est, pour les villages, de 15 thalaris de Marie-Thérèse, valant 4 fr. 80, de 30 thalaris pour les villes, et de 60 pour Belgrade. 6 thalaris, ou environ 30 fr., telle est la contribution moyenne, dont 3 comme capitation et 3