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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/930

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s’efforçant d’implanter hâtivement en Serbie le régime dont la révolution française et l’empire ont doté la France, poursuit un faux idéal, dont l’Occident revient. Au risque de passer pour un réactionnaire, je n’hésite pas à dire que très souvent les paysans ont raison dans leurs résistances. C’est un si grand avantage pour un pays de posséder des autonomies locales, vivantes, ayant leurs racines dans le passé, qu’il faut bien se garder de les affaiblir ou de restreindre leur compétence. Quand la centralisation les a détruites, on a grand’peine à les ressusciter, comme on le voit en France et en Angleterre. Le « fonctionnarisme » est une des plaies des états modernes : pourquoi l’introduire là ou il n’existe pas? Un exemple fera comprendre ma pensée. Tandis que la Belgique, avec cinq millions et demi d’habitans, n’a que neuf gouverneurs de province, la Serbie, qui n’a que 1,800,000 habitans, est divisée en vingt et un départemens avec autant de préfets (natchalnick) et quatre-vingt-un districts ayant chacun son sous-préfet (sreski-natchalnik), et dans chaque prélecture et sous-préfecture il y a des secrétaires, des greffiers, des employés : n’est-ce pas trop? Le but poursuivi paraît très désirable : c’est l’application rapide et surtout uniforme des lois. Il paraît intolérable que toutes les communes ne marchent pas du même pas et que quelques-unes restent très en arrière. C’est cependant ce que l’on voit dans les pays les plus libres et les plus heureux, en Suisse, aux États-Unis et jadis dans les Pays-Bas. L’uniformité est une admirable chose, mais on peut la payer trop cher. Il faut voir dans Tocqueville comment, en la poursuivant, l’ancien régime a détruit la vie locale et préparé la révolution. L’avantage incalculable des pays où la commune primitive a survécu, c’est que plus on y est démocrate, plus on est conservateur. Quelles sont les causes de perturbation dans les états occidentaux? La grande industrie, la concentration des capitaux, le prolétariat, les grandes villes et la centralisation. Or, c’est là ce que les progressistes travaillent à développer en Serbie. Ils sont donc, à leur insu, les fauteurs des révolutions futures, en multipliant, aux dépens des contribuables, les places, ample proie que se disputeront les factions politiques, les influences parlementaires et les aspirans au pouvoir. C’est un des maux dont souffrent déjà la Grèce et l’Espagne, sans parler des états plus rapprochés de nous.

Les Serbes doivent rester un peuple principalement agricole : Beati nimium agricolœ ! Il n’est pas vrai, comme l’a dit l’économiste allemand List, le fondateur du Zollverein, en invoquant l’exemple de l’ancienne Pologne, qu’un état exclusivement adonné à l’agriculture ne peut s’élever à un haut degré de civilisation. Il y a trente ou quarante ans, avant qu’un tarif ultra-protecteur eût développé