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petit nombre d’objets, parce que chaque famille produit encore sur place presque tout ce qui lui est nécessaire.

Nous soupons à Bagredun, dans une mehana (auberge) tenue, comme partout, par un Tzintzare. On m’y sert le mets national par excellence, la kissala tcherba, c’est-à-dire « la soupe aigre. » C’est une sorte de brouet aigrelet, fait de bouillon de poulet, où nage le volatile découpé en morceaux. Je le trouve excellent. Puis vient du mouton rôti avec des haricots verts à la crème. Le vin des environs ressemble à du mâcon. Je m’étais préparé à jeûner ; je suis donc très agréablement surpris de trouver la cuisine serbe si bonne et l’écot à payer si étonnamment modéré. Il est vrai que, dans les mehanas, tout est soumis à un tarif officiel, comme dans nos gares de chemins de fer. Ce sont des entreprises publiques et privilégiées. La mehana de première classe paie une taxe spéciale de 300 francs, celle de la seconde de 250 fr. et celle de la troisième, de 200 fr. Le nombre de chambres de voyageur que chaque mehana doit avoir est aussi déterminé d’après la classe. Si l’hôtelier rançonne le voyageur, il s’expose à perdre sa patente. Pour ouvrir un café ou un débit de boissons, il faut également une autorisation. En aucun pays, la réglementation n’a été aussi généralement et aussi logiquement appliquée. Ce n’est pas le voyageur qui s’en plaint. Par ce temps d’alcoolisme envahissant, il faudra bien finir par limiter partout le nombre des débits de boissons.

Nous passons, la nuit, par deux localités importantes, Jagodina et Tchoupria, Elles ressemblent à de petites bourgades autrichiennes ; mais elles n’offrent rien de remarquable. Le matin, nous déjeunons à Alexinatz. La ville a été à moitié brûlée par les obus turcs, durant la dernière guerre. Elle en a profité pour s’embellir : jolies maisons très gaies, rues plantées d’arbres, beaucoup de boutiques et de cafés, et, au bord d’un petit affluent de la Morava, une immense et magnifique brasserie. Je constate du nouveau ici que cet irrésistible conquérant, le dieu de la bière, Gambrinus, envahit les domaines de Bacchus. Nous gravissons une colline qui domino Alexinatz. On y a élevé une pyramide en l’honneur des volontaires russes morts dans les sanglantes batailles qui ont eu lieu dans les environs. A nos pieds s’ouvre la vallée de la Morava bulgare, par où s’avançaient les armées turques venant de Nisch. Des combats acharnés s’y sont livrés, trois jours durant. Autour de nous, sur les hauteurs, on voit encore les relèvemens de terre qui protégeaient les batteries serbes. Vers le nord-ouest, du côté de Statatch, au pied de hautes montages, on entrevoit le confluent de la Morava serbe et de la Morava bulgare.

On a reproché aux Serbes de s’être mal battus dans la dernière