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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/154

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guerre. On n’a plus retrouvé chez eux, dit-on, cette héroïque bravoure qu’ils avaient déployée dans la lutte de 1805 à 1815, où ils avaient conquis leur indépendance. Le reproche me paraît peu fondé. Quand les Serbes ont fait la guerre eu guérilleros, comme les Monténégrins, ils se sont montrés aussi braves que ceux-ci. Mais quand on a opposé, en rase campagne et avec la tactique régulière, des milices mal armées et mal encadrées à de vieux soldats munis des meilleurs fusils et des meilleurs canons, ceux-ci devaient nécessairement l’emporter. Stuart Mill remarque que les pertes et les ruines occasionnées par un incendie ou une guerre se réparent extraordinairement vite, quand les forces productives de la nation ne sont pas atteintes. Alexinatz apporte à l’appui de la vérité de cette observation une preuve nouvelle, qui vient s’ajouter à celle que fournit le merveilleux relèvement de la France après 1870.

Pour arriver à Nisch, nous traversons pendant deux heures une immense plaine, très fertile, emblavée en maïs et en froment, mais sans une maison et sans un arbre. Nous entrons dans un territoire récemment occupé par les Turcs. Les environs des villes turques sont toujours déserts, parce que les cultivateurs n’osaient s’y établir, crainte des exactions des gouvernons et des rapines de la soldatesque. Nisch a déjà pris l’aspect d’une ville hongroise. Après la cession à la Serbie, les musulmans ont émigré. Leurs maisons, tout en bois, ont été vendues à vil prix. La municipalité les a démolies pour tracer de larges rues, où s’élèvent des maisons neuves en pierres, avec des boutiques d’aspect occidental. Je vais présenter mes respects au consul de France, qui habite une maison turque, au milieu d’un joli jardin au bord de la Nischava. Rien ne rappelle plus la domination ottomane, sauf quelques Turcs riches, qui sont revenus pour régler la vente de leurs biens. Voici la femme de l’un d’eux qui rentre dans sa demeure. On dirait un ballot de soie violette. Deux servantes la suivent, aussi enveloppées dans leurs feredgés.

Le seul monument remarquable de Nisch est une grande forteresse qui date de la conquête ; elle sert encore de caserne, il est inouï combien, depuis l’annexion si récente à la Serbie, tout s’est transformé et a pris des allures occidentales. Rien ne me surprend plus que l’hôtel dans lequel nous sommes logés. C’est un bâtiment si vaste, qu’il renferme, dans le quadrilatère de ses dépendances, un grand jardin planté d’arbustes et de fleurs, où le soir nous soupons en plein air, en nombreuse compagnie et aux sons d’une musique jouant des tsardas hongroises. Les chambres sont propres, élégantes même. Un immense café, avec salle de billard, est rempli de monde. Tous les lits sont occupés. C’est que Nisch est déjà un centre