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d’Orient une solution presque définitive et à laquelle les amis de l’Immunité devaient applaudir. Presque toutes les populations de langue bulgare se trouvaient réunies et affranchies. Elles constituaient un état d’environ 5 millions d’habitans, assez fort pour se développer et même pour se défendre, et, en tous cas, n’ayant plus à appeler le secours de l’étranger pour atteindre son idéal. C’était là un résultat considérable.

On a objecté que cette grande Bulgarie aurait absorbé un certain nombre de villages mixtes, ce qui aurait sacrifié l’élément grec. Si cette difficulté n’a pas empêché de faire de la Roumélie un état semi-indépendant, elle ne peut pas être invoquée contre l’affranchissement de la Macédoine, où le nombre des Grecs n’est pas relativement plus considérable. Dans des contrées où les races sont si mêlées, il faut nécessairement prendre pour base des limites géographiques colles de la race qui y est en grande majorité. Quant aux minorités, si on les laisse libres de conserver leur langue et leur culte et si, d’ailleurs, elles jouissent du droit commun, elles n’ont point lieu de se plaindre. Le morcellement de la Bulgarie a créé une cause d’agitation permanente qui ira s’irritant sans cesse. On l’a vu l’été dernier (1884), lors du pétitionneraient universel en faveur de l’union de la Roumélie à la principauté, et, récemment, quand cette union a été proclamée d’enthousiasme par la population tout entière.

La situation actuelle des chrétiens de la Macédoine est bien plus affreuse que jadis, parce que les Ottomans comprennent que je seul moyen d’empêcher l’émancipation des rayas est de les écraser complètement. Et c’est ce qu’ils font, loin des yeux de l’Europe, car l’Angleterre y a même supprimé les deux vice-consulats qu’elle y entretenait précédemment. Elle ne veut pas voir les tristes conséquences de l’œuvre de Beaconsfield. Heureusement, les voyageurs parlent, et ici à Sophia, et à Philipopoli, arrive l’écho des plaintes des victimes, en traçant d’après les « livres bleus » anglais, le tableau de tout ce qu’avaient à souffrir les chrétiens dans les provinces de la Turquie, Saint-Marc Girardin n’a pas peu contribué à faire naître en Europe les sentimens de sympathie pour ces infortunées populations, qui ont abouti à l’émancipation de la Bosnie, de la Servie, de la Bulgarie et de la Roumélie. Aujourd’hui, il faudrait venir en aide de la même façon aux rayas sacrifiés par l’Angleterre dans le traité de Berlin. Leur situation est désolante : rien ne peut donner une idée de ce qu’ils ont à souffrir de la part des Arnautes et de la soldatesque turque. Voici ce que dit à ce sujet un tory, un ami de lord Beaconsfield et de lord Salisbury, le marquis de Bath, dans un livre publié récemment, après un voyage