Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des libéraux, à Paris pour un ancien agent de la commune et pour un gréviste d’Anzin. Ils ont fait cet effort de soumission à la discipline, ils ont abdiqué leur raison devant le mot d’ordre, au risque d’en avoir le cauchemar, ils l’ont avoué, et de n’être même pas sûrs de la reconnaissance de leurs alliés. Ce n’est pas tout. Le gouvernement, qui avait un instant paru présider avec une certaine impartialité aux élections, le gouvernement lui-même, pressé et sommé par ses amis, n’a point hésité à se jeter cette fois dans la mêlée, à mettre en jeu la puissance officielle, à tirer de l’arsenal administratif des moyens que l’empire ne désavouerait pas pour servir l’intérêt électoral des alliés républicains, radicaux ou opportunistes. M. le ministre de l’intérieur, M. le ministre de l’instruction publique se sont empressés d’envoyer en province des circulaires pour organiser l’intimidation, pour menacer les fonctionnaires et prévenir les instituteurs qu’on était décidé à « ne tolérer aucune défaillance. » Le ministère, qui est peut-être un peu novice dans ce genre de pratiques, a même commis par excès de zèle une singulière bévue. Comme on lui disait que le Tonkin avait fait beaucoup de mal aux républicains dans les premières élections, il a imaginé d’ordonner à grand bruit des poursuites contre des journaux qui parlaient du Tonkin, qui annonçaient que des opérations étaient engagées sur le Fleuve-Rouge, qu’on s’occupait d’envoyer des renforts à notre armée. Il a fait afficher dans toutes les communes de France, par la voie officielle, que ce n’étaient là que de fausses nouvelles, qu’il n’y avait pas d’opérations engagées, qu’on n’expédiait pas de renforts. Or ce qu’on niait sans scrupule la veille du scrutin était notoirement vrai et se trouvait confirmé le lendemain. Nos généraux étaient eu pleine campagne, les ordres de départ des hommes de renfort recevaient leur exécution dès le soir du 18, — et c’est le ministère qui aurait pu se décréter lui-même d’accusation pour fausses nouvelles, à la place des journaux, qui, bien entendu, n’ont pas été poursuivis.

C’était tout simplement un coup de tactique électorale, ce qu’on appelle, dans le langage des partis, une manœuvre de la dernière heure. De sorte que, pour mieux s’assurer un succès qu’on aurait eu vraisemblablement dans tous les cas, on n’a pas craint de recourir aux combinaisons les plus équivoques, aux alliances avec le radicalisme le plus extrême, aussi bien qu’aux subterfuges, administratifs les plus étranges. Et même, avec ces moyens plus ou moins avouables, à quoi est-on arrivé ? A-t-on réussi à intimider le sentiment conservateur du pays, à obtenir une de ces victoires qui ont vraiment, comme on le dit, le caractère d’une revanche, d’un retour d’opinion ? Nullement. Ce que le vote du 4 avait fait, le vote du 18 ne l’a pas démenti. Les choses ont suivi leur cours. Nulle part les conservateurs n’ont perdu de terrain, et, dans bien des départemens, ils ont eu plus de voix