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semaines dans une voie d’apaisement définitif. Les deux gouvernemens d’Allemagne et d’Espagne ont eu l’idée d’invoquer la médiation ou l’arbitrage du souverain pontife. Le pape Léon XIII a accepté le rôle qui lui était offert comme au conciliateur le plus éminent et le plus désintéressé. Le tribunal se trouve donc constitué, tous les documens de la cause ont dû lui être soumis, et par le fait, c’est désormais au saint-père de prononcer dans son équité souveraine, de dire le dernier mot de ce démêlé entre deux nations. Chose assez curieuse cependant ! La médiation pontificale n’exclut pas, à ce qu’il paraît, la continuation d’une négociation directe, qui prend même un ton quelque peu acerbe. M. de Bismarck, qui a eu le premier sans doute l’idée de cette médiation déférée au saint-père, ne semble pas s’en tenir absolument au médiateur, et tandis que le pape délibère, le chancelier allemand fait publier sans façon, dans son journal officiel, quelques-unes des dépêches qu’il a récemment échangées avec le cabinet de Madrid, qui sont quelquefois d’un ton assez tranchant et assez hautain. À en juger par ces pièces livrées un peu étrangement au public européen, l’instruction de la cause n’est pas très avancée, et la conciliation ne sera pas bien facile. Évidemment M. de Bismarck ne renonce à aucune de ses prétentions sur les Carolines, ou, si l’on veut, sur l’île qu’il a fait occuper par un officier de la marine allemande ; il continue à contester tous les droits de l’Espagne, ou du moins aux droits traditionnels de souveraineté que peut invoquer le cabinet de Madrid, il oppose le droit nouveau, le droit du premier occupant effectif. Le saint-père aura certes besoin de toute sa finesse, de toute sa droiture supérieure de jugement, de toute son autorité de conciliateur désintéressé pour mettre la paix entre les prétentions contraires, comme aussi entre les susceptibilités nationales, toujours prêtes à se réveiller.

Au fond, il faut en convenir, M. de Bismarck, dans le sentiment de son omnipotence, fait un peu à l’Espagne une querelle d’Allemand avec cette question où il y a deux points essentiels, un de droit et un de fait. S’agit-il de la souveraineté de l’Espagne dans l’archipel des Carolines et de Palaos ? Cette souveraineté semble assez évidente ; elle est inscrite dans l’histoire, elle est une tradition continue. Elle n’a pas cessé de passer pour réelle, quoiqu’elle ne se soit manifestée quelquefois que par la présence de quelques-uns de ces moines et de ces missionnaires dont M. de Bismarck se moque plus ou moins agréablement. On n’en a jamais parlé parce qu’on croyait qu’elle n’avait pas besoin d’être affirmée. Dans des dictionnaires et des annuaires qui datent de quarante ans, les Carolines sont toujours indiquées comme une dépendance de la capitainerie-générale des Philippines. — S’agit-il de l’occupation réelle et des faits récens qui ont pris tout à coup une gravité si disproportionnée, qui sont devenus un objet de dispute diplomatique entre les deux gouvernemens, une cause d’animosité entre les deux