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remontant aux principes et en se livrant aux idées générales. Un bon sens qui ne se dément point, mais un bon sens un peu pesant et discoureur, On sourit d’une allure si grave, d’entrées en matière si doctorales. « Il n’y a point, lisons-nous, de spectacle plus agréable pour le sage que celui d’un grand homme ou d’un homme extraordinaire. Il semble que notre existence s’ennoblisse par les vertus de nos semblables, et que l’éclat des grandes actions l’empêche de tomber dans l’engourdissement, état si déplorable pour un être pensant, etc. » Tout cela pour arriver à nous raconter la disgrâce imméritée d’un ministre espagnol, Grimm commence d’ordinaire par de vastes propositions générales : « de tous les arts, le plus ignoré et le plus mal exercé est celui de la dispute. Rien ne serait plus propre à l’établissement et aux progrès de la vérité parmi les hommes que la voie de la discussion, si nous avions un désir constant et sincère de discerner le vrai avec le faux, » et ainsi de suite ; le lieu-commun se poursuit, s’étale avec la paisible allure qui lui est propre. L’écrivain, d’autres fois, divise son sujet comme un sermon : « On peut envisager la question de la liberté de deux manières différentes : la première en se plaçant hors de l’univers, embrassant du même coup d’œil tous les êtres… »

Grimm, à tout prendre, est un bon esprit, et même, nous le verrons, un esprit vigoureux ; il a la solidité, la sagacité, mais il n’a pas le goût et il tombe souvent dans la déclamation. Bien de son siècle, en cela, et de son pays d’adoption ! Il est vrai qu’au contact de Diderot il y était plus exposé qu’un autre. Nous retrouvons dans ses lettres tout le jargon du temps, l’éloge de la nature, l’horreur du fanatisme, l’affectation de la sensibilité ; le cœur se remplit d’émotions délicieuses ; les larmes tombent des yeux à tout propos, pour un trait de vertu, pour une pièce de théâtre, pour un livre de Voltaire. Style et langue à l’avenant. On passerait sur des incorrections, mais le sanctuaire de la vérité et les fantômes de l’erreur, mais les sons célestes de l’Ausonie pour dire la musique italienne ! Je viens de faire allusion à l’influence de Diderot ; Grimm prend les tics de son ami ; comme lui, il apostrophe les personnes et les choses. On sent souvent, dans ces feuilles, le résumé de quelque conversation du Grandval, l’écho de quelque tirade du « philosophe. » Ou mieux encore, Diderot est là, au coude de Grimm, l’inspirant, lui faisant son article en pérorant.

Grimm a une foule de théories ; il en a sur les femmes, sur l’art, sur le goût, sur les langues ; tous les grands sujets de discussion d’une époque éminemment raisonneuse passent devant le lecteur. La royauté est laissée hors du débat, mais nous avons des morceaux sur les finances, sur la tolérance, sur l’éducation, sur l’inoculation,