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faite pour être chantée, La vérité est que Grimm la tenait en général pour un instrument ingrat. Il se refusait à lui reconnaître, même en prose, les qualités qu’on s’accorde le plus communément à lui attribuer. La clarté, la précision, l’énergie sont, selon lui, le mérite de nos écrivains plutôt que celui de la langue. Le français, il ne se lasse pas de le répéter, n’a ni simplicité ni grâce : il est sourd, timide, naturellement embarrassé ; exact, mais froidement exact ; sévère en matière de goût, mais compassé. De toutes les langues vivantes, c’est sans contredit celle qui a le moins de génie. La rigueur de ce jugement ne viendrait-elle pas de ce que la langue française se distingue précisément par îles qualités étrangères à la nature de notre tudesque critique ? On s’expliquerait ainsi en même temps l’étonnement qu’il éprouvait en remarquant le cas qu’on faisait du style à Paris. L’Académie donnait des prix d’éloquence : des pièces de théâtre, sans action ni intrigue, se soutenaient parce qu’elles étaient « bien écrites ; » Buffon était là pour l’harmonie et la magnificence de sa phrase. Grimm n’était pas éloigné de considérer tout cela comme des welcheries.

Notre versification ne lui paraissait pas plus favorable à la poésie que notre langue. Il jugeait notre prosodie vague, notre rime tyrannique et noire alexandrin pompeux. « Je crois le vers héroïque, s’échappe-t-il à dire, si diamétralement opposé au genre dramatique que peu s’en faut que je n’aie l’audace d’écrire, en cette année 1767, que la véritable tragédie et la véritable comédie ne sont pas encore trouvées en France ; mais il ne s’agit pas de se faire lapider ; ainsi renfermons nos hérésies au fond de notre cœur. » L’antipathie de Grimm pour la tragédie française tenait, du reste, à tout un ensemble de notions littéraires. Epris de la simplicité et de la grandeur du drame antique, Grimm voulait, en même temps, le naturel au théâtre ; il était à la fois classique dans le sens des Grecs et réaliste selon le sentiment moderne. Au lieu de faire, dans la pièce racinienne, par exemple, la part inévitable du convenu, il la comparait aux produits d’une littérature primitive ou lui appliquait la loi de la vraisemblance absolue. Il manquait de la souplesse d’esprit nécessaire pour se placer, en face d’une œuvre, au point de vue qu’exigent les conditions dans lesquelles cette œuvre a pris naissance.

Aucun des arts de notre pays, au surplus, ne trouve grâce dans la Correspondance. Nous naissons, déclare l’impitoyable auteur, avec des dispositions médiocres pour la peinture. « Ce qu’il y a de plus décrié, à l’entendre, après la musique de la France, ce sont ses tableaux. » On proclame Soufflot le premier architecte du royaume et de l’Europe, ce qui n’empêche pas qu’il n’ait fait à Lyon