Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes parts et qui lui semblait présager l’avènement du règne de la tolérance. « A moins, dit-il, — et l’on remarquera cette réserve, — qu’il n’arrive quelque grande catastrophe physique ou morale, qui déroute ou dérange la pente générale des esprits, on peut prédire, sans risquer son caractère de prophète,


Que dans l’Europe enfin l’heureux voltairianisme
De tout esprit bien fait sera le cathéchisme. »


Grimm, on le voit, partage, au sujet de la religion, les opinions extrêmes des encyclopédistes. Chez lui comme chez eux, l’horreur du fanatisme a produit un fanatisme à rebours. Il confond tout dans son aversion, les instrumens et leurs abus. Il estime les vertus chrétiennes trop sublimes (lisez : trop extravagantes) pour s’accorder avec les devoirs civiques. L’esprit de l’évangile, d’après lui, n’a jamais pu s’allier avec les principes d’un bon gouvernement ; et si les nations modernes ont dégénéré de la grandeur qui caractérise les peuples anciens, la faute en est à l’établissement du christianisme en Europe. Que voulez-vous, écrira-t-il, que produise une doctrine d’enthousiasme sur les hommes dont le plus grand nombre est déjà porté à l’absurde ? Il n’est pas jusqu’à la charité religieuse que notre philosophe ne maudisse lorsqu’il voit ce que sont devenues ses œuvres les plus vantées. « Ce que je sais, dit-il, c’est que, si j’avais la police d’un état à conserver, tous les hôpitaux seraient démolis, au risque de laisser mourir dans les rues ceux qui n’auraient su se ménager un asile pour leur vieillesse. » Ici encore, toutefois, c’est Grimm lui-même qui mettra le correctif à des opinions excessives. Il a, dans une autre occasion, sur le christianisme primitif, une page qui témoigne d’une véritable impartialité historique ; on croit y surprendre comme un souvenir de Leipzig et des leçons d’Ernesti. Il arrive à Grimm, comme à Diderot, de se prendre d’impatience contre les extravagances du parti. Diderot, en lisant l’écrit posthume d’Helvétius sur l’Homme, n’avait pu s’empêcher de le cribler de ses critiques, de ses sarcasmes même, sans s’apercevoir que plus d’un trait retombait sur ses propres doctrines ; Grimm éprouve également le besoin de protester lorsqu’il lui tombe entre les mains quelqu’une des lourdes productions de la coterie, oubliant alors que cette coterie est la sienne et ne se doutant pas que l’écrivain qui lui remue ainsi la bile est l’un de ses meilleurs amis. Il vient de lire le Système social du cher baron, et il n’y tient plus ; la pédanterie de ces déclamations, la déraison de ces novateurs lui donnent des nausées. « L’auteur est certainement un très honnête homme, embrasé de zèle pour le bien, haïssant le mal et le vice de