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retour de fortune, qu’il compromît le roi avec ses alliés naturels.

La guerre se poursuivait avec des chances diverses entre l’Espagne et la Hollande ; l’Angleterre était neutre en apparence ; mais les deux grands personnages qui commandaient sur le littoral, le lord gardien des cinq ports et l’amiral de la flotte de la Manche, étaient au nombre des pensionnaires de l’Espagne et, en toute circonstance, molestaient les marins hollandais que les hasards de la mer amenaient sur les côtes anglaises. Comme de juste, les Hollandais rendaient aux Anglais les mauvais traitemens qu’ils en avaient reçus, et notamment ils s’efforçaient de les évincer des îles de la Sonde et des Moluques, ou ils s’attribuaient le monopole du commerce des épices. Gondomar fit entrevoir à Jacques que le roi d’Espagne serait bientôt maître de Leyde et d’Amsterdam, comme il était déjà maître d’Anvers : si les Anglais se joignaient à lui, ils auraient leur part dans la conquête. Un traité secret d’alliance éventuelle contre la Hollande fut débattu, traité si secret que le roi, le prince de Galles, Buckingham et Dighy, ambassadeur d’Angleterre à Madrid, en eurent seuls connaissance. Gondomar eut l’adresse de s’en faire offrir la minute, qu’il s’empressa de transmettre à Madrid. C’était le renversement de la politique populaire et traditionnelle de l’Angleterre.

Ce n’était pas assez cependant. Gondomar repartait pour l’Espagne. Il sut persuader au prince de Galles que le mariage projeté avec l’infante ne réussirait que s’il allait en personne demander sa main Un jour, Charles vint annoncer à son père qu’il partait pour Madrid incognito, sans autre compagnon que Buckingham. Outre ce qu’une telle démarche avait d’insolite, la sécurité du prince n’était même pas assurée. Les Hollandais étant maîtres de la mer ; Richelieu, hostile à une alliance entre l’Angleterre et l’Espagne, ne lui permettrait pas de traverser la France. Le roi d’Espagne lui-même, et surtout son tout-puissant ministre, le duc d’Olivarès, se montreraient de moins facile composition lorsque le prince de Galles serait à leur discrétion. Le vieux roi fit en vain toutes ces objections ; les deux jeunes gens partirent, malgré lui. Voyageant à toute vitesse, ils eurent l’heureuse chance de courir la poste de Calais à la Bidassoa sans être reconnus ; ce ne fut qu’arrivés à Madrid qu’ils s’aperçurent combien leur entreprise était téméraire et chimérique. La maison d’Autriche se trouvait, il est vrai, dans une situation critique. En guerre contre les protestants sur le Rhin et contre les Hollandais dans les Pays-Bas, elle était menacée en arrière par les Turcs qui s’avançaient à travers la Hongrie jusque sous les murs de Pesth. La France se tenait prête à profiter de ses revers. S’aliéner le roi d’Angleterre c’était le rejeter, suivant le vœu du peuple anglais, vers les Hollandais. Il fallait amuser le prince de Galles et traîner la négociation du mariage en longueur sans lui faire perdre