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le prince de Galles à une princesse espagnole. Ce mariage était de même l’espoir de tous ceux qui rêvaient de détruire le régime établi par Henri VIII et par Elisabeth. L’ambassadeur de la cour de Madrid à Londres était alors le comte de Gondomar, fort bien informé des intrigues qui s’agitaient autour du roi, car les personnages les plus importans recevaient une pension de son maître. Il eut ordre de laisser croire qu’un mariage serait possible entre Charles, fils de Jacques Ier, et l’infante dona Maria. Ce projet était peu compromettant ; cette infante n’avait que six ans lorsqu’il en fut parlé pour la première fois ; bien des événemens pouvaient venir à la traverse avant qu’elle fût nubile. Toutefois son portrait, envoyé à Londres, fut exposé au palais de Whitehall et présenté à tous les courtisans comme celui de la future reine d’Angleterre. Elle n’était pas belle, paraît-il ; très brune, le teint foncé, elle avait mérité le sobriquet de princesse Olive. A peine les deux fiancés furent-ils d’âge à entendre parler l’un de l’autre qu’ils se détestaient cordialement. « Epouser un hérétique, disait dona Maria ; être la mère d’enfans qui seront brûlés en enfer, plutôt rester au couvent. » Charles n’était pas moins libre dans ses propos : « Si ce n’était pas un péché, soupirait-il en regardant le portrait de Whitehall, les princes devraient avoir deux femmes, l’une pour la politique, et l’autre pour leur agrément. » Quant à l’opinion du dehors, elle était unanime à condamner ce projet d’alliance. Membres des communes et citoyens de Londres étaient d’accord pour y voir une atteinte aux libertés du royaume ; Gondomar était devenu l’homme le plus impopulaire qu’il y eût dans la capitale. Il s’en souciait peu, ayant le plus complet dédain pour le peuple et pour le parlement. « Un roi n’est vraiment roi, disait-il à Jacques, que lorsqu’il est son propre maître. Le roi d’Angleterre ne serait l’égal des autres souverains que s’il se débarrassait des sujets qui prétendent lui imposer des conseils. » Juste à ce moment, des membres des communes suppliaient Jacques, dans une pétition, de se mettre à la tête des états réformés, de déclarer la guerre au roi d’Espagne et de marier son fils à une princesse protestante. Quantité de volontaires anglais, soldats et gentilshommes, avaient pris du service dans les Pays-Bas et y combattaient contre l’Espagne. Le roi répondit aux pétitionnaires que ses sujets n’avaient pas à juger sa politique. La chambre répliqua par une protestation où elle invoquait ses anciens droits. Jacques vint en personne au parlement faire déchirer devant lui la feuille des procès-verbaux où cette déclaration était enregistrée ; puis le parlement fut dissous. Gondomar avait imposé silence à l’opinion publique : les hauts emplois de l’état étaient occupés par des hommes dont il payait le dévoûment. Ce n’était pas assez ; il fallait encore, pour éviter tout