Quel lien pouvait donc retenir unis ces coalisés que tant de soupçons et de préjugés divisaient ? L’intérêt ne suffisait pas : ni les Espagnols, ni les Vénitiens n’ignoraient que le sultan ferait un pont d’or à celui des alliés qui, le premier, laisserait pressentir quelque inclination à se détacher de la ligue. La foi du chrétien, la haine de l’infidèle, affermirent, en cette occasion, les vues chancelantes de la politique. Pour la dernière fois, peut-être, on vit reparaître la ferveur qui entraîna jadis les peuples de l’Occident en Syrie, tant une conviction profonde a de force quand elle donne en même temps au monde un austère exemple ! Plein de l’esprit divin, Pie V n’hésitait pas à garantir à don Juan le triomphe, à une condition, cependant : il fallait recourir à l’aide de Dieu, invoquer sa miséricorde par des prières et par un changement complet de vie. Le pape avait envoyé à Messine, sous la conduite du nonce, beaucoup de capucins, de jésuites et d’autres religieux : ces ecclésiastiques devaient être répartis, par les soins de don Juan, sur les galères. Le généralissime donnerait les ordres les plus sévères pour qu’on les écoutât dévotement quand ils liraient les saintes Écritures ou quand ils prononceraient des sermons. Les soldats recevraient tous un chapelet bénit, et, du général en chef au dernier homme de l’équipage, chacun sérail muni d’un Agnus Dei de cire consacrée, sauvegarde incomparable dans les grands périls. Le jeu, ce fléau des galères, demeurerait rigoureusement proscrit. Pour prévenir l’oisiveté, source de tous les vices, quoi de plus salutaire que le recours à Dieu ? Office ou chapelet, chacun choisirait, suivant son goût, le mode de prières qui lui agréerait le mieux ; nul, sans s’exposer à être noté d’indignité, ne se montrerait négligent dans ses dévotions. Le moindre blasphème serait puni de la hart. Deux hommes, deux incorrigibles, tombèrent dans ce péché : don Juan les fit pendre sous les yeux mêmes du nonce. L’exécution jeta la terreur dans la flotte. L’habitude du blasphème disparut sur-le-champ, aussi bien que « le jeu des trois dés. »
Tant d’aventuriers, de gens de sac et de corde, réunis sur ces vaisseaux encombrés, où mariniers et soldats trouvaient à peine l’espace nécessaire pour se mouvoir, n’auraient pas vécu un seul jour en paix si un frein respecté ne les eût contenus dans le devoir. La dévotion n’était pas seulement pour eux une contrainte morale ; elle fournissait aussi un aliment indispensable à leur désœuvrement. Le souverain pontife était donc très fondé à la recommander comme la meilleure auxiliaire de la discipline. Les pères capucins sur les galères pontificales, les jésuites sur les navires du roi, les dominicains et les franciscains sur les vaisseaux de Gênes, de Venise, de Savoie, contribuaient de la façon la plus efficace, par leurs