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constructions modernes, en dépendre encore. Je voudrais, après avoir raconté les batailles de Salamine et d’Actium, étudier en homme de mer et non pas seulement en historien, le grand choc qui, le 7 octobre 1571, renversa la suprématie maritime des Ottomans. Je crois néanmoins préférable de réserver pour un plan plus vaste, pour une étude plus approfondie ces détails techniques : ce qu’il importe aujourd’hui de montrer, c’est l’incontestable supériorité de la jeunesse sur l’âge mûr, à plus forte raison sur la vieillesse, dans les occasions où il faut s’étourdir et aller à l’ennemi tête baissée. Amenée par une rencontre fortuite, la bataille de Lépante a mis en présence deux armées, dont les forces à peu près égales réunirent sur l’étroite arène, déjà ensanglantée par Octave et par Antoine, plus récemment encore par Doria et par Barberousse, l’énorme multitude de 172,000 hommes : 84,420 du côté des chrétiens, 88,000 du côté des Turcs. La perte des vainqueurs, la seule qui ait pu être régulièrement constatée, dépassa 15,000 hommes, — 7,650 morts, 7,784 blessés. — Celle des vaincus atteignit au moins le chiffre de 60,000, — 40,000 tués, 8,000 prisonniers, 10,000 esclaves chrétiens délivrés de leurs fers.

« Ce sont des batailles celles-là, s’écrie avec raison Brantôme, non pas les triqueniques des nôtres, où nous ne rendons de combat pour un double ! » Les Turcs ne se sont jamais relevés de ce grand désastre : la bataille de Lépante leur enleva pour toujours l’empire de la mer. « Les chrétiens, disaient-ils, n’ont fait que nous raser la barbe. » Cette barbe, depuis le 7 octobre 1571, n’a pas repoussé. Engagé vers midi, le combat se prolongea jusqu’à la nuit close : le sort de la journée fut résolu en moins d’une heure. La supériorité de l’armement donna la victoire aux chrétiens : si l’action parut un instant indécise, la faute n’en saurait être imputable qu’à Doria, qui se perdit, comme en 1538 son grand-oncle, dans des combinaisons trop subtiles de tactique.

Bien qu’il convienne d’attribuer très peu d’influence, dans les actions de mer, à la disposition adoptée pour mettre ses forces en ligne, surtout quand il s’agit de bâtimens à rames ou de bâtimens à vapeur, on ne saurait néanmoins méconnaître la leçon qui se dégage très clairement de l’étude des diverses phases du combat du 7 octobre 1571. Cette leçon, la voici : il est indispensable de donner au centre une grande solidité et de protéger l’extrémité des ailes. L’armée chrétienne fut pendant un certain temps compromise par l’effort impétueux qui se porta sur ses deux guides de droite et de gauche. Placées en avant de la ligne, les galéasses obligèrent, il est vrai, les Turcs à ouvrir leurs rangs au