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sculptées ; le vent et la pluie n’avaient pas rongé les cannelures des colonnes ; elles étaient couvertes d’une couche de stuc assez forte pour les protéger, assez légère pour ne pas les alourdir, semblable à ces vêtemens de gaze qui dessinent si parfaitement les formes des statues antiques. Les métopes produisaient tout leur effet, placées au-dessus des colonnes, à l’endroit même pour lequel on les avait faites, au lieu d’être, comme aujourd’hui, rangées le long des murs d’un musée. Il faut ajouter que toute cette architecture dorique, qui nous parait si majestueuse, si grave, était alors relevée et comme égayée par des couleurs que le temps a effacées. On sait aujourd’hui que les Grecs appliquaient sur le marbre et sur le stuc des peinturés qui avaient l’avantage de corriger, dans les premiers temps, la crudité des tons naturels, et qui plus tard, à mesure que les monumens vieillissaient, les empêchaient de prendre ces variétés du nuances qui détruisent l’unité de l’ensemble, Faisons un effort d’imagination et tâchons de nous figurer l’aspect que devaient alors présenter ces beaux édifices. Les grandes parties extérieures sont peintes d’ordinaire en jaune clair, couleur moins éblouissante au soleil, moins crue que le blanc, qui se détache mieux sur les nuages et contraste plus agréablement avec la verdure. Sur ce fond uniforme, des teintes plus vives accusent les détails de la décoration. Les triglyphes sont peints en bleu ; le fond des métopes et des frontons en rouge. Les colonnes s’enlèvent en clair sur un soubassement plus foncé. Quelquefois des lignes délicatement tracées indiquent les joints des pierres. Pline, parlant d’un temple de Cyzique, dit « que l’or n’y semblait qu’un trait de pinceau, aussi fin qu’un cheveu, et qu’il produisait néanmoins de merveilleux reflets. » Vers le haut, le long des frises et au-dessus, les ornemens sont plus nombreux, les couleurs plus variées, plus vives, comme pour former une sorte de couronne à l’édifice[1]. Voilà pour l’extérieur ; on voit à quel point il différait alors de ce qu’il est aujourd’hui. Quant à l’intérieur, nous n’en avons plus rien conservé. Les murs de la cella, c’est-à-dire de la demeure même du dieu, ont presque partout disparu, et c’est grand dommage, car ils étaient souvent couverts de belles peintures. A

  1. Je me sers ici des idées et souvent même des expressions de M. Hittorff. C’est, lui, on le sait, qui a le premier soutenu, non sans soulever de violentes polémiques, que les monumens grecs étaient recouverts de couleurs, et c’est l’étude qu’il avait faite des temples de Ségeste et de Sélinonte qui lui avait révélé cette vérité. Son grand ouvrage sur l’Architecture antique de la Sicile, qu’il avait laissé incomplet, a été achevé par son fils, M. Ch. Hittorff, et publié en 1870. M. Ch. Hittorff a tenu à s’effacer devant son père, dont il avait été le collaborateur le plus dévoué, et il n’a pas voulu mettre son nom sur la première page ; cette piété liliale ne doit pas le priver de la juste part qui lui revient dans l’œuvre commune.