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en attaquant toutes les parties organisées de notre corps, doit leur ôter leur activité en les détruisant. Je vous suis obligé de m’avoir communiqué cette triste nouvelle, et je me suis dit à moi-même : Il faut mourir, ou il faut voir mourir les autres, il n’y a pas de milieu. »


IV

Louise-Dorothée est du nombre de ces princesses tout à fait distinguées qui ornaient, au XVIIIe siècle, quelques-unes des cours secondaires de l’Allemagne, et y représentaient la culture française jointe aux qualités essentielles de la femme et de la souveraine. Fille du duc Ernest de Saxe-Meiningen, élevée dans la retraite et avec soin par une belle-mère, sa gaieté naturelle résista à l’austérité de cette religieuse éducation. Elle trouva une amie et le plus utile appui dans Mme de Buchwald, la Sévigné de la Thuringe, la grande maîtresse des cœurs, comme l’appelait Voltaire. Mmne de Buchwald, qui était née à Paris, fut pour beaucoup dans le tour littéraire que prirent les plaisirs à Gotha ; Klupffel également, que nous connaissons déjà comme ami de jeunesse de Grimm et de Rousseau. Il était devenu un grave personnage, voire un dignitaire ecclésiastique, mais il n’avait pas renié ses joyeux souvenirs et n’était pas le dernier, j’imagine, à encourager la représentation des pièces françaises sur le théâtre de la petite cour. L’enjouement que la duchesse faisait régner autour d’elle est attesté par sa fondation d’un ordre des Ermites de bonne humeur, dont la devise était : Vive la joie ! et dont la règle consistait à mettre l’étiquette de côté dans les réunions du chapitre. Louise-Dorothée ne négligeait pour cela, ni les affaires d’état, auxquelles elle prenait utilement part, ni l’éducation de son fils, qu’elle dirigeait au contraire avec sollicitude. Elle correspondait avec Voltaire, qui avait passé quelques semaines chez elle en quittant Berlin, et qui n’oublia jamais la manière dont il avait été reçu dans « le paradis thuringien. » C’est à la demande de la duchesse et pour elle qu’il composa ses Annales de l’empire. Les lettres qu’il lui adressait témoignent jusqu’au bout de sa reconnaissance et de son admiration pour celle qu’il avait saluée


Souveraine sans faste et femme sans faiblesse,


qu’il se plaisait à nommer sa protectrice et sa bienfaitrice, et qui avait, en outre, le mérite de trouver plaisir aux aventures de Jeanne, d’Agnès et du père Grisbourdon. La duchesse Louise était également en commerce de lettres avec Frédéric, dont la fortune de