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liaison ; 2° parce que la princesse dont j’ai l’honneur de vous parler est attachée à la France et aime la nation par goût et par choix ; 3° parce que c’est une princesse des plus éclairées, d’une sagesse et d’une prudence reconnues, et douée de toutes les grandes qualités qu’on attend de ceux qui gouvernent, et qui sont nécessaires à bien conduire une négociation délicate où il ne faudrait compromettre personne ; j’en parle avec connaissance de cause, parce que je suis honoré de ses bontés et de sa confiance depuis douze ans, pendant lesquels j’ai fait deux séjours à sa cour ; 4° parce que cette princesse est sans contredit la personne de l’Europe qui a le plus d’ascendant sur le roi de Prusse, et que ce prince a pour elle la plus haute considération et entretient avec elle un commerce de lettres très suivi ; 5° parce que, par ce moyen, quelles que fussent ses dispositions à l’égard de la France, on aurait du moins l’avantage de les connaître avec sûreté et sans détours ; il n’en emploierait sûrement pas avec Mme la duchesse de Saxe-Gotha, et si cette princesse se chargeait de quelques négociations, on pourrait s’attendre de sa part à une bonne foi et un zèle sans réserve[1]. »

Grimm ne s’était pas contenté de chercher à agir par un avis officieux sur les conseils de la France, il avait entrepris la négociation de son propre chef et avait fait connaître à la duchesse le rôle qu’il rêvait pour elle. « Il faut que je dise à Votre Altesse, lui écrit-il, un projet qui m’a passé par la tête, pour user de mon privilège de tout dire. Je suis las de voir le froid qui subsiste depuis la paix entre deux anciens alliés ; j’aimais mieux une belle haine bien déclarée comme en 1757. D’ailleurs je suis trop bon Français et j’ai de trop bonnes raisons de l’être pour ne pas désirer que le grand Frédéric ait en ce pays-ci encore d’autres liaisons que celle du philosophe d’Alembert et la mienne. Je sais depuis longtemps qu’il estime M. le duc de Praslin ; j’ai appris depuis qu’il fait cas de M. le duc de Choiseul ; à quoi tient-il donc qu’on ne rétablisse entre les deux cours cette correspondance qui subsiste entre les cours les moins liées, et dont l’interruption m’ennuie depuis longtemps ? Si tout cela ne tient qu’à une petite cérémonie pour savoir qui nommera le premier son ministre, il faut convenir qu’on s’arrête à bien peu de chose, mais cela arrive souvent en politique. Mais je me suis mis en tête que Votre Altesse doit se mêler de cette affaire, que vous satisferez également, madame, et votre goût pour la France et votre amitié pour le grand Frédéric en faisant finir un froid qui a trop duré, et que votre sagesse trouvera pour cela aisément ce que les Italiens appellent il mezzo termine. Si Votre Altesse

  1. Pour cette lettre et l’histoire des transactions auxquelles elle se rattache, voir un article signé R. Hammond, dans la Revue historique de mai-juin 1884.