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être prêtés à tout avec beaucoup d’envie de finir et avoir été rejetés, nous ne voulons plus faire aucune démarche, et nous avons raison[1]. »

Ce n’est que beaucoup plus tard, en 1768, que Frédéric fit enfin des ouvertures positives, que la négociation s’engagea sérieusement, et qu’elle aboutit à l’envoi simultané d’un ministre de Prusse à Paris et d’un ministre de France à Berlin.

Si Grimm avait pensé un moment à s’autoriser de ses relations avec la duchesse pour se faire bien venir près du gouvernement français, il est juste de dire qu’il mettait, en revanche, ce qu’il pouvait avoir d’influence à Paris au service de la cour de Gotha. Une grande partie de ses lettres à la duchesse sont consacrées à des réclamations que la principauté avait à faire valoir contre la France. La guerre de sept ans avait lourdement pesé sur quelques-uns même des états allemands qui n’y avaient pas pris part. La Thuringe, en particulier, avait beaucoup souffert du passage des armées. Louise et son époux avaient en à recevoir alternativement Soubise et Frédéric dans leur château de Friedenstein et leurs sujets avaient subi pillage et réquisitions. Une lettre du roi de Prusse à la duchesse nous montre les égards qu’il avait pour elle, cédant aux nécessités de la politique. Les états saxons lui doivent 400,000 écus de contributions, et il est résolu à se faire payer ; la condition où il se trouve lui interdit les voies de la douceur ; non-seulement il est pauvre, ruiné, réduit comme saint Crépin à voler le cuir pour donner des souliers aux pauvres, mais il doit déguiser son embarras et « affecter des ressources pour soutenir la gageure contre tout le monde ; » de là de mauvais procédés et des manœuvres qu’il faut pardonner à la nécessité, et, dans sa conduite, un manque de courtoisie dont il cherche à peine à s’excuser.

Plus les petits états allemands avaient d’exigences à satisfaire, plus, on le comprend, ils mettaient d’importance à réclamer ce qui leur était dû à eux-mêmes. Ils avaient été réquisitionnés, avaient fourni des fourrages, et, la paix faite, ils essayaient de se faire indemniser. Un bureau de liquidation avait été ouvert à Strasbourg, mais l’argent manquait en France et les règlemens traînaient. Dans ces circonstances, et comme il arrive d’ordinaire dans le cas de créances considérables et litigieuses, une compagnie s’était formée pour acheter les prétentions des princes et états de l’empire et pour payer à bas prix, mais comptant, la cession de tout droit. La correspondance de Grimm est pleine du récit des

  1. Lettre de janvier 1766. (Dans Tourneur, t. XVI, p. 445.) Le père de L… est Helvétius, le père, c’est-à-dire l’auteur du livre de l’Esprit ; son ami, naturellement, est Frédéric.