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qui ont reçu cette correspondance depuis plusieurs années sans me rien donner, et qui, cependant, ne voudront pas au bout du compte l’avoir reçue pour rien, quoiqu’ils en courent le risque s’ils attendent que je les en fasse souvenir. Ce travail est donc, même du côté de son produit, un objet considérable pour moi, et, vu le désordre qui s’y est glissé depuis trois ans, je ne suis pas bien sûr de parvenir à réduire toutes mes augustes pratiques à la charité et à la patience dont Votre Altesse leur donne un si bel et si constant exemple. Mon ami (Diderot) me fournit des choses excellentes et j’ai éprouvé son zèle et son amitié en plus d’une occasion, mais ce qu’il fournit a encore besoin d’être mis en ordre par moi, parce qu’il ne peut y mettre lui-même le dernier soin, et que sa tête se captive d’ailleurs trop difficilement pour n’avoir pas besoin d’un modérateur dans les choses faites à la hâte et qui ne peuvent avoir que le premier trait. Je suis donc encore, sur tous ces objets, un peu dans la perplexité, mais si je ne sais pas encore comment je me tirerai de tous ces embarras, je sais du moins une chose certaine, c’est que je n’en irai pas joindre moins vite Monseigneur le prince héréditaire. J’ose me flatter aussi que Votre Altesse me connaît trop et rend trop de justice à mon attachement pour me soupçonner d’entrer dans ces détails pour faire valoir un sacrifice au bout du compte si léger et si frivole auprès de la satisfaction que j’éprouve et que je dois à Votre Altesse uniquement. Plût à Dieu que je fusse dans le cas, madame, de vous faire un sacrifice plus réel ; vous verriez si je balancerais. J’irai donc joindre Monseigneur le prince héréditaire en Angleterre, j’irai le suivre en Italie et en Allemagne, et il me suffit que Votre Altesse envisage cette idée comme un moyen de tranquillité pour la plus adorable des mères, pour que je m’en trouve infiniment heureux. »

Les conditions pécuniaires qui avaient été faites à Grimm, pour s’assurer ses services, étaient certainement libérales, et il s’en déclare satisfait, tout en protestant qu’aucune vue d’intérêt n’était capable d’influer sur ses déterminations. Suit tout un passage du goût le plus extraordinaire : il sait que la landgrave n’est pas riche, mais il admire les sentimens de son cœur plus qu’il ne prise les trésors des Mogols ; il connaît la différence des monnaies, et un écu offert par son altesse a plus de prix à ses yeux qu’un million offert par tels princes qu’il nommerait bien !

Au moment de laisser là son gagne-pain de la Correspondance, et de se lancer dans une voie au bout de laquelle il ne distinguait en somme rien de certain pour l’avenir, Grimm essaie pourtant de s’assurer quelque avantage que les vicissitudes de la fortune ne puissent lui enlever. N’était-ce pas le moins que le service du prince lui rapportât un cordon ou un titre ? Était-il même