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La ville se trouve sur la plage, si l’on peut donner le nom de ville à deux grandes constructions : l’une aujourd’hui en ruines, l’ancien bagne des forçats ; l’autre, l’ancien magasin de provisions, transformé en église anglicane, toutes deux entourées d’une haute muraille, et à quelques maisonnettes et huttes en bois ombragées par des pins.

En face et au sud, à 3 milles de distance, un rocher isolé dessine ses contours fantastiques sur le ciel. C’est l’île Philippe, renommée pour son coloris jaune clair, orange fonce, rosé. À mi-hauteur, une tache noire laisse deviner un groupe de plus suspendus dans une crevasse. Entre les deux îles des récifs ajoutent aux difficultés de la navigation. Le vent est soudainement tombé, et l’agitation de la mer contraste singulièrement avec le calme de l’atmosphère et le caractère idyllique du paysage.

Mais pourrons-nous aborder ? L’île de Norfolk est un des points les plus inaccessibles du monde, L’n fonctionnaire anglais m’a dît qu’en sept voyages qu’il a faits dans ces parages, une seule fois il a pu prendre terre. Heureusement, le pavillon rouge, au lieu du pavillon bleu, arboré près de la jetée, nous avertit que la barre est praticable pour de petites embarcations.

C’est probablement à son isolement[1] que Norfolk-Island a dû la triste destinée d’être choisie comme lieu de réclusion pour les déportés récidivistes[2], c’est-à-dire pour les plus atroces et les plus incorrigibles scélérats. Les rares voyageurs qui l’ont visitée, entre autres le célèbre botaniste autrichien baron Charles de Hügel, l’ont dépeinte sous les couleurs les plus sombres. M. de Hügel l’appelle un enfer situé dans un paradis.

Lorsque, il y a trente ans, cet établissement pénitentiaire fui supprimé, l’île de Norfolk reçut une autre destination,

En 1789, le Bounty, bâtiment de sa majesté britannique, capitaine William Bligh, chargé d’une mission dans les eaux du Sud-Pacifique, après avoir visité Tahiti, croisait à une latitude plus élevée, lorsqu’une révolte éclata à bord. Tout l’équipage et trois officiers y prirent part. Le capitaine et les autres officiers furent jetés dans une chaloupe, avec quelques barils d’eau, quelques provisions de bouche, et abandonnés à leur malheureux sort. Bligh, cet homme extraordinaire, dans sa coquille de noix poussée par les vents alizés et les courans, traversa le Pacifique dans toute sa largeur, aperçut le premier les îles de Fiji, aborda, après une

  1. Distance de la côte d’Australie 900, de la pointe méridionale de la Nouvelle-Zélande, 400 milles.
  2. De 1790 à 1853.