les officiers, l’équipage, tous ivres au moment de La catastrophe, furent sauvés. Pas un des pauvres Hindous n’échappa à la mort. Quel sinistre spectacle que celui d’un beau et grand bâtiment couché sur le flanc, engagé dans les récits, ballotté par la houle ! Les marins les plus habitués aux vicissitudes de la mer se sentent émus. C’est ainsi que le voyageur du désert s’attriste à l’aspect des carcasses de chameaux échelonnées le long de son chemin. Le plus brave ne peut s’empêcher de faire un retour sur lui-même. Mais la fraîcheur de la brise, le roulis, le beau soleil, chassent bientôt les lugubres préoccupations. Déjà, au nord, la haute île d’Ovalau est en vue. A notre gauche, à fort peu de distance, les terres basses et sablonneuses de Viti-Levu. Devant nous plusieurs petites îles. Une d’elles est Mbao. Toute couverte de végétation, elle ne s’élève que de quatre-vingts pieds au-dessus de la mer, et sa circonférence ne dépasse guère 3 ou 4 milles. A travers le feuillage on entrevoit à peine les toits de l’église méthodiste et du mausolée de Takumbau, sur le sommet de la colline, les maisonnettes des missionnaires le long de la plage, quelques cabanes de sauvages.
A trois heures, notre vapeur jette l’ancre au milieu d’un groupe de canots indigènes et de quelques yachts construits à Aukland pour les princes et roitelets, qui commencent à préférer les chaloupes européennes au tronc d’arbre creux traditionnel. Ces bateaux ont amené des chefs de tribu venus pour saluer le roko de Mbao, fils de Takumbau, à l’occasion de son retour du conseil national. La grande rue est déserte, mais, guidés par le son lointain du tam-tam, nous débouchons sur une place, où la population tout entière semble s’être donné rendez-vous. C’est un mêki, une danse solennelle exécutée par les grandes dames de la tribu. Nous trouvons le héros de la tête avec ses frères et cousins assis sur ses jambes devant la porte d’une cabane. C’est un homme encore jeune ; physionomie ordinaire, teint brun mat. Rien qui le distingue de ses compagnons, si ce n’est qu’il porte une chemise, tandis que ses amis se contentent du pagne. Après avoir échangé des poignées de main avec ce personnage, nous passons outre et prenons place derrière les spectateurs.
Nous voilà au grand Opéra de Paris, dans une première de face. Les fauteuils d’orchestre et le parterre sont occupés par les notables de l’Archipel, Accroupis sur le gazon, mêlés sans distinction de rang à leurs suivans et sous-ordres, ils semblent absorbés dans la contemplation du spectacle. Nous ne voyons que des dos, quelques centaines d’épaules bronzées ou noires, ruisselantes d’huile de coco. A notre arrivée, ces messieurs ont daigné se retourner un instant pour jeter un regard sur les intrus, laissant ainsi entrevoir