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principalement, sinon exclusivement par raison d’humanité et pour protéger les insulaires, que Fiji a été annexé et que des bâtimens de guerre anglais viennent régulièrement visiter ces parages. Les immigrans européens qui sont arrivés ici depuis que le pavillon britannique a été arboré à Fiji, savaient ce qu’ils faisaient. Ils connaissaient quelles chances ils avaient à courir. Ils n’ont pas le droit de se plaindre. D’ailleurs nous répudions l’accusation de partialité que l’on porte contre les tribunaux. »

L’autre doléance se rapporte à la faveur témoignée et à l’appui accordé aux grands chefs et aux chefs en général pour maintenir le prestige et l’influence de chacun d’eux dans sa tribu. Tandis que dans beaucoup d’autres îles de l’Océanie, l’autorité des chefs a presque disparu, dans cet archipel elle est mieux et plus solidement établie que jamais. Elle l’est si bien que lorsqu’un roko, ce qui arrive parfois, se permet d’ajourner l’application d’une loi nouvelle, impopulaire dans son district ou contraire à ses idées, le gouvernement ferme les yeux plutôt que de l’humilier devant sa tribu. Il est aisé de comprendre cette politique. Les autorités coloniales savent qu’il est plus facile de se faire écouter et obéir par les chefs naturels, que de gouverner directement une multitude réduite à l’état d’atomes.

Mais cette manière d’agir est particulièrement odieuse aux planteurs. Ils allèguent de nombreux argumens ; je n’en citerai qu’un seul. Ils rappellent qu’autrefois les pouvoirs du chef, quelque arbitrairement qu’il les exerçât, n’étaient pas illimités. Quand ses exactions ou ses cruautés dépassaient une certaine mesure, les chefs de famille le déclaraient déchu et le remplaçaient par un autre membre de sa famille ou allaient se fondre dans une autre tribu. Cet acte de dénonciation était ordinairement accompagné ou suivi d’un coup de massue appliqué par un proche parent de haut rang sur le crâne du chef trop autoritaire. Ce contrôle un peu sommaire, mais très efficace, n’existe plus. Au contraire, la loi défend à la tribu de renvoyer son chef. Elle doit adresser ses plaintes au gouverneur qui, par principe et par goût, incline en faveur du chef.

Mais le principal motif du mécontentement des résidens blancs, il faut le chercher ailleurs. Les planteurs qui ont besoin de travailleurs, les négocians de Suva et de Levuka qui ont besoin de domestiques et qui, les uns et les autres, n’en trouvent que difficilement et à des conditions onéreuses, s’en prennent, souvent avec raison, aux roko et aux buli, peu favorables aux engagemens.

Dans d’autres groupes de l’Océanie, encore indépendans, le peu de résidens blancs qui s’y trouvent ainsi que les capitaines et agens