Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/819

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’église. Il la laisse en revanche se mêler aux affaires de l’état. L’évêque a gardé dans la cité la grande situation que lui avait laissée l’empire ; il y est un personnage aussi important que le comte ; et l’accord entre le comte et lui est chose si nécessaire que l’on voit déjà, du temps de Grégoire de Tours, le roi remettre au clergé et au peuple le soin de désigner un comte. L’évêque, qui est le juge de la population cléricale, est aussi en beaucoup de cas juge des laïques. D’abord, il est le protecteur des veuves, des orphelins et des affranchis ; ensuite la confusion qui s’établit entre la notion du péché et celle du crime, l’autorise à réclamer certains crimes pour sa juridiction. Ainsi les deux ordres, ecclésiastique et laïque, se rapprochent et se confondent, et le premier, par un effet de son caractère sacré, prend la prééminence. Un édit de Clotaire II attribue à l’évêque une sorte de droit de surveillance sur le comte. Les conciles mêmes sont requis pour le service de l’état, pro utilitate regni. Le roi Gontran veut faire juger par les évêques sa querelle avec Sigebert, puis avec Brunehaut. Grégoire de Tours s’en afflige : « La foi de l’église n’est pas en péril, dit-il ; il ne surgit aucune hérésie ! » Mais les évêques eux-mêmes mettent à l’ordre du jour de leurs délibérations des affaires d’état ; ils se transportent en corps auprès des rois pour leur faire connaître leur opinion sur des faits politiques. Dans les discordes et dans les guerres, ils offrent et font accepter leur arbitrage.

Un des Mérovingiens a voulu connaître même des choses spirituelles. Chilpéric s’était mis en tête de réformer le dogme de la trinité, conte son projet et ses raisons à Grégoire de Tours : « Et voilà, dit-il en conclusion, ce que je veux que vous croyiez, foi et les autres docteurs des églises ! » Grégoire s’en défendit, et, comme le roi l’avertissait qu’il s’adresserait à de plus sages : « Celui qui accepterait tes propositions, s’écria l’évêque, serait non pas un sage, mais un sot. » Sur ce chapitre, Grégoire, comme on sait, n’entendait pas la discussion. Un autre évêque, auprès duquel le roi renouvela sa tentative, voulut lui arracher le parchemin où il avait écrit sa profession de foi. Chilpéric « grinça les dents » et se tut. Il semble d’ailleurs qu’il ait été le seul théologien de la famille, ce singulier personnage que Grégoire de Tours accable d’une malédiction méritée, mais dont la physionomie nous intéresse au plus haut degré, parce qu’il a été le plus exact imitateur du gouvernement impérial et le disciple maladroit de la civilisation ancienne. Il faisait des prœceptiones et des vers latins ; il était philologue et il commanda qu’on ajoutât des lettres à l’alphabet. Sa théologie, sa philologie, sa poésie, ses prœceptiones se ressemblent et se valent. Son gouvernement boite comme ses vers. Il