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son influence. Le 20 mai 1858, elle accouchait d’un enfant mâle qui recevait le titre de prince de Havaï. La joie des souverains fut partagée par le pays tout entier, qui vit dans la naissance d’un héritier la consolidation d’une dynastie reconnue par les puissances étrangères et chère aux indigènes. De grandes réjouissances publiques fêlèrent cet heureux événement, et la jeune reine reçut de tous côtés les preuves les plus évidentes de la sympathie qu’elle inspirait.

Le seul danger qui pouvait menacer l’indépendance havaïenne vouait des tendances annexionnistes de la colonie américaine riche nombreuse et puissante. Le contrepoids naturel se trouvait dans les sympathies de la France et de l’Angleterre. Celles de l’Angleterre n’étaient pas douteuses, mais avec la France les rapports étaient tendus. L’hostilité des missionnaires américains contre les missionnaires catholiques, les lois restrictives sur l’importation des vins et des spiritueux avaient provoqué, de la part de la France, des remontrances dont il n’avait pas été tenu compte, ni la proposition de négocier un traité, proposition à laquelle le gouvernement havaien n’avait répondu jusqu’ici que par des fins de non-recevoir. Cette situation préoccupait Kaméhaméha IV : il se décida à y mettre un terme et à ouvrir avec le représentant de la France qui, depuis trois ans, attendait vainement une réponse, des conférences pour régler par un traité les questions pendantes. Il désigna comme plénipotentiaires M. Wyllie, son ministre des affaires étrangères et son frère le prince Lot, qu’il venait d’appeler au ministère de l’intérieur. C’est de cette époque que datent mes premiers rapports avec ce prince qui devait, plus tard, être roi sous le nom de Kaméhaméha V, et dont je devins le ministre et l’ami. Rien alors ne faisait prévoir ces changemens. Kaméhaméha IV était jeune et plein de vie, la reine venait de donner un héritier au trône et, pour le moment, simple chancelier du consulat, je devais seconder mon chef dans ses négociations comme secrétaire des conférences.

J’aimais le pays où je me trouvais ; je ne désirais pas changer de résidence, j’étudiais beaucoup et je m’appliquais surtout à me rendre un compte exact des forces productrices du sol, des conditions du commerce, de la législation qui le régissait et de l’avenir qui lui était réservé. Entouré de gens qui prédisaient, dans un avenir peu éloigné, l’absorption de la race indigène par les États-Unis, je cherchais à démêler si tel était vraiment le cours fatal et nécessaire des choses. Je m’intéressais à ce peuple dont les qualités comme les défauts sont tout en dehors, dont l’hospitalité, vis-à-vis des étrangers, méritait un autre retour. Partisan sincère de son indépendance, j’avais peu à peu épousé cette idée avec passion. Je