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Victoria, l’objet d’une offre délicate qui flattait à la fois son amour-propre de femme et de mère, celle d’être marraine du jeune prince de Havaï, dont le prince de Galles acceptait d’être parrain.

Tout entier à la joie que lui causait la naissance de son fils Kaméhaméha IV semblait avoir entièrement renoncé aux liqueurs fortes. Sa santé s’était rétablie, mais toujours impuissant à résister à la tentation quand la vigilance de la reine ne réussissait pas à l’écarter, il devait une fois encore se laisser entraîner à des excès plus graves, destinés à avoir une profonde influence sur le reste de sa vie.

Le 3 août 1859, le roi, accompagné de la reine, de son secrétaire particulier, M. Neilson, et de ses aides-de-camp, quittait Honolulu pour aller passer deux mois dans l’île de Mauï, où il possédait des terres considérables. Les habitudes d’intempérance de M. Neilson n’étaient un secret pour personne, et la reine Emma avait plusieurs fois sollicité le roi de l’écarter de sa personne Le roi s’y était refusé : son intimité avec Neilson datait de plusieurs années, il avait pour lui une amitié que justifiaient, d’ailleurs les qualités d’esprit et de cœur de ce compagnon de sa jeunesse. Ainsi que le roi, Neilson semblait avoir, depuis quelque temps, réformé ses habitudes, mais dans l’oisiveté de la vie de la campagne il se laissa entraîner par son vice avec d’autant plus de violence qu’il s’était abstenu plus longtemps. Dans le pavillon détaché qu’il occupait à quelque distance de la demeure du roi, on jouait et on buvait chaque soir. Kaméhaméha IV ne sut pas résister à la tentation de l’exemple ; pendant plusieurs jours, il se plongea dans l’orgie noyant sa raison dans l’eau-de-vie, sourd à toutes les sollicitations de la reine jusqu’au jour où, dans un paroxvsme de rage, de colère et de folie, il s’arma d’un revolver et tira sur son compagnon de débauche en lui disant : « Que Dieu vous damne, Neilson ! » Le malheureux tomba, frappé à mort. Subitement revenu à lui-même à la vue du sang qui roulait et de sa victime qui râlait, Kaméhaméha IV s’abandonna à un accès de désespoir tel que les assistans réussirent à grand peine à l’empêcher de tourner contre lui-même l’arme dont il venait de se servir.

Extrême dans ses résolutions, aussi passionné dans ses remords que dans ses emportemens, le roi n’avait qu’une idée : rentrer dans sa capitale, faire l’aveu public de son crime, se condamner, abdiquer en faveur de son fils, remettre la régence aux mains de la reine et de son frère, et chercher l’expiation dans la solitude. La reine avait peine à modérer ses transports. Agenouillé au pied du lit de sa victime, il sollicitait son pardon. Immédiatement prévenu, le prince Lot accourait auprès de lui. Son influence et son affection,