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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/126

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que la dignité de ma représentation exige une dépense proportionnée à son importance, j’ai eu l’ambition d’augmenter mon revenu par mes épargnes. j’ai emprunté, à diverses reprises, de l’argent pour me faire des rentes viagères et suis parvenu à me faire encore près de 2,000 roubles de rente. Ces rentes, je les emploie, avec la pension de Votre Majesté, à rembourser successivement l'argent qu'on m’a prêté à intérêt. Si je vis assez pour rembourser tout cet argent, je me trouverai fort au-dessus de mes affaires ; si je meurs avant, les 50,000 livres placées chez M. le duc d’Orléans répondront suffisamment de ce qui restera encore à acquitter au moment de ma mort ; et voilà la simplicité et la clarté qui conviennent à l’administration des finances d’un grand empire ; je suis une espèce de petit Necker dans la précision de mes combinaisons. Mais comme à mon âge il m’a trop répugné de constituer ces rentes sur ma tête et de les laisser éteindre avec moi, j’ai associé, moyennant quelque dépense ou quelques privations de plus, la tête de la petite Emilie[1], sans qu'elle s’en doute, à la mienne, et j’ai la satisfaction dès à présent de penser qu'elle jouira de ces rentes après moi pendant sa vie et que le bienfait de Votre Majesté non mérité de ma part aura servi à son profit comme au mien.

« Somme totale : je dois, comme tant d’autres, toute ma fortune aux bienfaits de Votre Majesté impériale, et, par ricochet, Emilie de Belsunce en bénira un jour mon auguste bienfaitrice ; mais ma fortune est bornée et ses sources sont connues, et j’ai l’orgueil de me croire si fort au-dessus des atteintes de la calomnie qu'à tout hasard je brave ses flèches empoisonnées avec une confiance entière dans la justice du génie tutélaire et protecteur de l’empire de Russie et des gens de Grimma[2]. La dernière grâce que j’espère d’en obtenir après toutes celles dont j’ai été comblé, c’est qu'immédiatement après mon décès il plaise à Votre Majesté de se faire rendre compte de l’état de ma succession; et si le compte de mes exécuteurs testamentaires n’est pas conforme à celui que je viens de rendre, je consens que ma mémoire soit flétrie. »

Thésaurisant en vue de la famille dont il avait fait la sienne, Grimm, ainsi qu'il l’écrit vers la même époque, n’avait jamais un écu et ne devait jamais une obole. A la modicité de ses besoins et à l’ordre qu'il mettait à ses affaires, on reconnaît l’esprit éminemment rangé et raisonnable que nous avons rencontré en toutes circonstances. On retrouve également, dans des fonctions différentes, l'opiniâtreté de labeur dont il avait fait preuve dans la rédaction

  1. La fille des Belsunce, celle que Grimm avait en quelque sorte adoptée et qui devint Mlle de Bueil.
  2. L’un de ces mots de convention dont abonde la correspondance; il désigne Grimm et sa famille adoptive.