de la Correspondance littéraire. Sa vie, telle qu'il nous la laisse voir, était celle d’un esclave, dirons-nous, ou d’un ministre d’état. Le service de Catherine entraînait une foule d’affaires petites et grandes, et la réputation de la faveur dont Grimm jouissait à Pétersbourg lui attirait, nous l’avons dit, des nuées de solliciteurs. Il ne laissait pas d’en gémir quelquefois :
« Depuis que les bontés de Votre Majesté impériale m’ont rendu un homme illustre, Dieu seul sait tout ce que j’ai à souffrir pour l'amour d’elle. c’est-à-dire que tous les oisifs et tous les importuns de l’Europe se croient en droit de m’assaillir et de me voler mon temps, le plus précieux de mes biens, toujours pour me parler d’elle. C'est bien me prendre par mon faible, mais que je regrette cette époque de ma vie où, jouissant des mêmes bontés de Votre Majesté impériale dans mon heureuse obscurité, je lui disais son fait toutes les fois que la fantaisie m’en prenait ! Je n’avais pas encore le public pour confident de mon bonheur. »
Et une autre fois : « Je suis un des hommes les plus tourmentés qu'il y ait sur la terre. Il ne se passe pas un jour qu'on vienne m'accabler de visites, de lettres, de propositions de toute espèce. Je passe ma vie en audiences inutiles, à écouter, à lire des lettres, à y répondre, à refuser, au lieu de me recueillir, de vivre au pied de l’autel où l’immortalité réside, à côté de l’objet de mon culte, d'y vivre jour et nuit. »
Le culte de Catherine, c’est la part de l’adulation. Ce qui est vrai, et il y revient souvent, c’est qu'il n’a pas le temps de lire, « pas une heure dans toute une semaine, en mettant une minute à la queue de l’autre ; à peine celui de lire les gazettes pour savoir ce que fait l’impératrice. » Le jour se passe à exécuter des commissions et la nuit à griffonner. Grimm a besoin de recueillement pour écrire à Catherine et il attend, pour le faire, que tout le monde soit couché. Il est trois heures du matin, il tombe de sommeil, mais le messager va partir à huit heures et il faut que le paquet soit prêt. L'aurore le surprend quelquefois à son bureau.
Pas un moment à donner à la lecture ! Et cela pour un homme dont la vie autrefois se passait à rendre compte de toutes les publications du jour. La transformation est complète. Le diplomate, l'agent officieux a rompu avec la littérature. Sans regrets, d’ailleurs, si nous l’en croyons. Grimm n’a-t-il pas le bonheur « de lire dans de certaines têtes, » ce qui gâte pour les autres lectures? Les déclamations philosophiques du jour ne lui paraissent plus que « fastidieuses capucinades. » Depuis la mort de Voltaire, il est pris de dégoût pour tout ce qui paraît.
A mesure que l’homme de cour prenait le dessus sur l’homme de lettres, l’Allemand perçait davantage sous le Français d’emprunt.