régit Catherine, notre courtisan voit déjà le temps où le russe et l'allemand auront pris la place des langues classiques, et seront enseignées dans les universités d’Amérique au lieu du grec et du latin. Ce qui est singulier, ce sont les ouvrages qui excitent cet enthousiasme. Grimm porte aux nues une comédie de Lenz, der Hofmeister ; il l’a lue trois lois : « c’est un ouvrage d’une verve incroyable; » et ni lui, ni sa souveraine n’ont l’air de se douter qu'à l’heure où ils écrivaient avaient déjà paru Gœtz de Berlichingen, Werther et les Brigands.
On ne s’étonnera pas si la vie que menait Grimm mina peu à peu une santé déjà fort ébranlée, nous l’avons vu, par l’ancien travail de la Correspondance. Il a le sang à la tête, la fièvre le tient au lit tout un mois ; il souffre des yeux, un mal qui le poursuivra jusqu'à la fin. Il s’est, pour le moment, guéri par l’usage de l’eau fraîche. « Il faut se plonger le visage et le répéter souvent, suivant le besoin ; » c’est un remède qu'il doit à Tronchin, et qu'il aurait bien envie de faire parvenir à l’empereur, affligé de la même infirmité que lui. « Je supplie Votre Majesté Impériale de dire cela à Joseph de ma part, puisque je n’ai pas osé me donner les airs de lui écrire. » Un mal plus grave se déclare : ce sont des étouffemens ; il ne peut plus écrire, ou n’y parvient qu'en se levant à chaque instant pour faire un tour de chambre. « Il est aisé de comprendre le supplice d’un homme dont le devoir et l’état demandent l’usage continuel de la plume. »
Les médecins envoyèrent Grimm aux eaux, à Bourbonne, à Spa, à Aix-la-Chapelle, sans grand succès à ce qu'il semble. Mais l’un de ces voyages devint l’occasion d’une singulière satisfaction d’amour-propre pour un homme épris des distinctions flatteuses. Le prince Henri de Prusse, le frère de Frédéric, étant à Spa en 1781, invita Grimm à venir l’y trouver, et lui offrit un appartement dans la maison même qu'il occupait. Grimm accepta avec d’autant plus d’empressement que Tronchin lui recommandait les eaux du lieu pour ses migraines. Pensez donc, « passer six semaines avec un des plus illustres personnages du siècle, de la manière la plus intéressante et la plus agréable ! » On sent bien au récit suivant que la tête en a tourné au narrateur. Il arriva à Spa le 13 juillet :
« Dans le premier moment il y eut un peu de vacarme, de confusion et de désordre dans nos discours ; c’était bien naturel après quatre années d’absence et de grands événemens. Les idées se pressaient, se heurtaient un peu les unes à côté des autres, et je ne réponds pas des contusions qu'il y eut par-ci par-là, car l’art de parler de dix choses à la fois n’est pas encore perfectionné, et le crible par lequel il faut passer est si étroit que je ne sais ce qui en serait arrivé si le nom de Catherine ne nous eût mis subitement à