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doublement la révolution, en empêchant l’impératrice d’agir et en affaiblissant l’effort de ceux qui agissaient.

Catherine, dans ses lettres à Grimm, n’entre pas dans de longues explications sur la cause de sa lenteur à intervenir contre la démagogie française. Envoyer des troupes sur le Rhin? Mais comment? Si elle en envoie peu et s’associe à l’entreprise des brouillons, ses troupes seront battues comme les autres ; et quant à en envoyer un grand nombre, elle ne le peut, car elle s’attend à tout moment à être aux prises avec les Turcs. Il faut finir ce qu'on a commencé avant de se mêler des affaires d’autrui. « Monsieur le souffre-douleur, s’écrie-t-elle, dites-moi, s’il vous plaît, d’où vient que vous croyez que les affaires de la Pologne ne sauraient aller en même ligne et de front que celles de France ?.. Vous voulez que je plante là mes intérêts et ceux de mon alliée la république (la Pologne), et mes amis républicains, pour ne m’occuper que de la jacobinière de Paris? Non, souffre-douleur, je la battrai et combattrai en Pologne, mais pour cela je ne m’en occuperai pas moins des affaires de France, et j’aiderai à battre le ramas de sans-culottes tout comme le feront les autres. » (Mai 1792.)

Le moment vint, cependant, où Catherine se rendit aux vœux de son correspondant et à ceux de la nouvelle coalition. Non que la haine de la révolution l’emportât enfin dans son esprit sur les intérêts politiques positifs, mais l’intérêt se trouvait maintenant d’accord avec les antipathies. Catherine, à la fin de 1795, s’était convaincue qu'elle n’avait plus rien à redouter de la Prusse en Pologne, et elle avait besoin de l’alliance de l’Angleterre et de l’Autriche pour s'assurer leur neutralité dans la tentative suprême qu'elle allait essayer contre la Turquie. Elle ne méditait rien de moins, en effet, que de s’emparer de Constantinople au moyen de sa flotte de la Mer-Noire; une fois frappé au cœur, l’empire ottoman ne devait plus faire grande résistance, et l’impératrice pourrait mourir avec la joie d’avoir réalisé le rêve de son règne. c’est dans ces vues qu'elle signa, avec les deux puissances dont nous parlons, le traité du 28 septembre 1795, et c’est en exécution de cet engagement qu'elle annonçait à Grimm, au mois d’août suivant, le départ de 60,000 hommes pour les bords de l’Elbe, sous les ordres du maréchal Souvarof. « Attendez-vous à des tours de griffe, ajoutait-elle; le temps est venu. » Et le A septembre 1796 : « Je demanderai que le corps de Condé soit joint au nôtre, mais taisez-vous de cela avant le temps; mes courriers sont allés à Berlin, Vienne et Londres, et les 60,000 hommes ont ordre de se tenir prêts. Au premier ordre, je m’en vais faire une levée du double pour les remplacer; ainsi rien au monde ne se dérangera, et j’aurai de quoi fouetter les