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parmi ceux que leur plaisir, leurs études ou leurs intérêts amènent là-bas sont frappés des progrès de ce peuple ne d’hier, quoique vieux de trente siècles, et ils regardent avec autant de sympathie que de curiosité cette nouvelle civilisation qui s’établit sur des ruines glorieuses.


III.

« D’ici à longtemps, avait dit M. Trikoupis dans un de ses premiers discours, la Grèce doit songer à exploiter son territoire plutôt qu'à l'agrandir, à préparer des cantonniers plutôt que des soldats, et à construire plus de chemins de fer que de cuirassés. » M. Trikoupis montrait par ces paroles qu'il comprenait les intérêts immédiats du royaume et les véritables intérêts de l’hellénisme. Toute la chambre, tout le pays se rallia à ces idées. Aussi, quoique la Turquie eût tout mis en œuvre pour paralyser l’effet du traité de Berlin, le gouvernement hellénique, depuis le règlement de la question des frontières, a entretenu les meilleures relations avec la Porte. Plus d’un homme politique grec, même, a pu rêver cette anomalie qui semble monstrueuse : l’alliance de la Grèce avec la Turquie. Si la Turquie, en effet, reste toujours l’ennemie de la Grèce, la Grèce ne voit plus une ennemie dans la Turquie. Les seuls vrais, les seuls redoutables ennemis des Grecs, ce sont les Slaves. Le danger est chez ceux qui menacent Constantinople et Salonique, et non chez ceux qui les détiennent. De la part de la Turquie, où est le péril pour les Grecs ? La Turquie ne peut faire rétrograder les événemens. Elle ne peut reprendre la Grèce aux Grecs, pas plus qu'elle ne peut reprendre la Bulgarie aux Bulgares et la Serbie aux Serbes. Son seul espoir, que chaque année affaiblit, c’est le maintien du statu quo en Orient. Pour la Grèce son rôle est tout tracé. Attendre avec patience les derniers jours de l’empire ottoman, en se recueillant dans la paix de façon à être forte pour la guerre. Plus la Grèce sera riche à l’heure du partage final de la Turquie, et plus, soit par les armes soit par la diplomatie, elle aura des dépouilles de l’empire. « Money is a good soldier: l’argent est un bon soldat, » a dit Shakspeare. Par le développement de son agriculture, de son industrie, de son commerce, la Grèce cherchait depuis quelques années à se constituer ce « bon soldat. » Mais la Grèce désirait une longue paix, car il lui fallait une longue paix pour achever sa transformation. Il lui fallait une longue paix pour montrer son relèvement à l’Europe et pour lui prouver qu'elle peut remplir la mission que l’histoire,