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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/179

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l'ethnographie et les intérêts politiques de l’Occident lui assignent en Orient.

Les événemens viennent traverser les plus sages desseins. La révolution de Philippopoli a surpris les Grecs en flagrant délit d'opérations pacifiques. À cette menace d’un nouveau démembrement de la Turquie au profit des Slaves, les Grecs se sont émus et enflammés. De bonne foi, peut-on s’en étonner? Les puissances s’efforcent d’imposer le retour au statu quo ante bellum ; et la Grèce, plus directement intéressée, cependant, que n’importe quelle puissance dans la question d’Orient, n’aurait pas le droit, elle aussi, de demander le rétablissement du statu quo ! Or la Grèce ne réclame pas autre chose. A la vérité, si, comme il est probable, l’Europe renonce à son premier desideratum, si elle souffre qu'il se forme aux frontières de la Thrace et de la Macédoine un état de trois millions de Bulgares, ce qui sera un préjudice pour les Hellènes de la Roumélie orientale et une menace pour les Hellènes des contrées limitrophes[1], si enfin l’Europe en sanctionnant l’union bulgare, récompense les perturbateurs et donne une prime à l’insurrection, les Grecs auront d’autres demandes. A repousser les réclamations helléniques, les puissances prouveraient qu'il existe deux justices: la justice pour les Bulgares et la justice pour les Grecs. En effet, les Bulgares peuvent impunément violer le traité de Berlin, alors que ce traité a créé l’autonomie de la Bulgarie proprement dite et donné à la Roumélie orientale une administration indépendante ; et les Grecs ne seraient pas admis à revendiquer les clauses de ce traité qui n’ont pas été exécutées. Si les Bulgares ont été bien avisés de se réunir aux Rouméliotes, les Grecs ne sauraient être moins bien avisés de se réunir aux Epirotes. d’une part, ils agiraient au nom de l’hellénisme, comme les Bulgares ont agi au nom du slavisme ; d'autre part, ils se conformeraient aux décisions du traité de Berlin autant que les Bulgares s’en sont écartés.

Le gouvernement grec n’a officiellement demandé jusqu'à présent que le rétablissement du statu quo ante bellum, et, comme

  1. Rien n’explique et ne justifie mieux l’émotion qui a saisi les Grecs à la nouvelle de la révolution de Philippopoli que cette page d’un petit livre distribué gratuitement dans tous les pays où il y a des Bulgares. « l’avenir de la Bulgarie est dans la Macédoine, dans le relèvement des Bulgares macédoniens; c’est à cela que nous devons travailler, car notre grandeur, notre unité future, notre intégrité nationale, notre existence comme état, ne sont que là. Sans la Macédoine, un état bulgare dans la péninsule des Balkans, serait sans importance, sans valeur. Salonique doit être la porte principale de cet état. Si la Macédoine ne devient pas bulgare, la Bulgarie ne scia pas constituée. » — Or sur les 690,000 chrétiens habitant la Macédoine, il y a 90,000 Bulgares et 600,000 Hellènes. On voit que les ambitions bulgares passent les ambitions helléniques, et l’on conçoit que les Grecs aient des raisons pour s’inquiéter.