trouve en face d’une terre nue, dans une contrée vide, devant quelques lignes entre-croisées qui lui désignent l’emplacement et les rues de son futur village. À lui de bâtir, s’il veut un abri exigé, d’ailleurs, par l’administration ; à lui de se pourvoir de chevaux ou de bœufs s’il veut labourer et d’acheter un matériel agricole s’il veut un jour récolter. Saura-t-il par quels moyens on dresse un attelage et dans quelles conditions on doit faire les semailles ? Avant ces questions essentielles, il faut pourtant qu’il s’en pose une autre ; car, pour se procurer ces premiers élémens de vie matérielle et de travail, on a besoin d’avances, et il n’en apporte probablement pas assez.
Propriétaire, mais sans rentes ; la dépense au lieu du produit ! Que fera-t-il ? Ce que vous feriez à sa place ; il cherchera à emprunter. Mais, pour emprunter, il faut donner des gages, et, ces gages, il ne peut les fournir. Sa terre ? Sa chère concession ? Il la risquerait peut-être ; mais elle ne lui est accordée qu’à titre provisoire. Elle ne sera définitivement à lui que dans quelques années. À moins d’obtenir de son préfet une autorisation spéciale, il ne peut l’hypothéquer ; or, cette autorisation ne lui sera accordée qu’à la condition de bâtir avant tout ; car on tient à le fixer sur place.
Puis il faut trouver un prêteur. Ah ! le prêteur sur gages, cette providence et cette malédiction du colon ! Sans doute, depuis quelques années, un crédit foncier a surgi, des sociétés financières se sont offertes, qui prêtent (à 7 pour 100 environ) des sommes équivalentes à peu près à la moitié de la valeur de la propriété. Mais elles sont très exigeantes sur les garanties. Elles ne prêtent guère que sur des concessions définitives. Elles ont pour cela de bonnes raisons ; car, si le colon obéré abandonne sa concession provisoire, le prêteur perd le plus solide de ses gages, puisque le sol retourne à l’état. Que pourrait valoir une hypothèque sur des constructions devenues inutiles dans une terre délaissée ? Le concessionnaire qui arrive est ordinairement réduit à recourir à l’usurier. L’usurier n’est qu’un banquier comme un autre en un pays où, bien que l’intérêt légal soit à 6 pour 100, il est parfaitement licite et tout à fait ordinaire de prêter à 10 pour 100. La déconsidération s’attache à peine à ceux qui prêtent à 20 ou à 25.
Supposons pourtant notre colon tombé en bonnes mains. Ses 30 ou 40 hectares ont été estimés à 4 ou 5,000 francs. On lui a prêté la moitié de cette somme. Le voilà bien avancé vraiment avec 2 ou 3,000 francs, pour bâtir une maison, acheter son matériel de ferme, mettre ses terres en état et vivre un an jusqu’à la récolte ! À moins d’un miracle, le pauvre homme est condamné d’avance. n’eût-il, par un excès de circonspection, bâti qu’un gourbi au lieu d’une