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à l’écart des centres colonisés. Sur un sol à peine gratté par l’araire des Arabes, le complément de défrichement, à bref délai, d’une moitié de l’exploitation, est presque partout indispensable. Or il oblige à l’emploi de nombreux indigènes. Pour 10 hectares, au prix ordinaire de 200 francs, ce travail préliminaire emportera 2,000 fr. de capital. La bâtisse la plus modeste, pour abriter gens et bêtes, ne pourra être obtenue à moins de 3,000 francs en un pays où la main-d’œuvre industrielle, quoique fort défectueuse, est à des prix vraiment exagérés. Se procurera-t-on le mobilier personnel, le matériel rural, les bestiaux, les semences, la première mise en œuvre à moins de 3,000 francs ? Enfin, ne faudra-t-il pas prudemment se réserver deux ans de vivres pour attendre la récolte, qui n’est suffisamment rémunératrice qu’une année sur deux ? En ne comptant que 2,000 francs de ce chef, nous voici arrivés à un total de 15,000 francs pour une entreprise assurément bien timide, une exploitation bien rudimentaire où n’existe pas encore un pied de vigne. En certains cas, on peut faire à moins, mais en combien d’autres on sera entraîné à plus ! Avec une telle mise de fonds, en se résignant à être fermier d’autrui, on eût pu cultiver 100 hectares et mener une vie plus large, tout en engageant moins l’avenir.

Dans une petite ferme de 20 hectares, la partie non défrichée fournit le pâturage aux bestiaux et le combustible à la ménagère. On diminue l’étendue de ces terrains incultes, à mesure que les ressources arrivent. Un enfant de la famille ou un petit pâtre indigène suffit à garder, pendant le jour, le troupeau qui doit être rentré prudemment pendant la nuit. Dans la partie arable, 3 hectares sont emblavés en blé ; autant en avoine et en orge ; le reste est partagé entre les plantes industrielles, si on a assez de fumier et de main-d’œuvre pour en essayer, et les fèves, vesces, autres plantes fourragères, quand l’humidité permet d’en produire ; le dernier tiers est laissé en jachère reposante quand le ciel et la terre sont à la fois trop secs ; si entre ces divers travaux on parvient à planter 1 hectare de vigne, voilà tout ce à quoi on peut prétendre pour commencer, juste de quoi vivre quand aucun fléau ne survient. Mais si l’on augmente graduellement l’étendue de sa vigne, si on parvient à entretenir une ou deux laitières, à engraisser un ou deux bœufs, quelques moutons, à élever des porcs ; si l’on ne visite ni le cabaret ni les cafés (si nombreux qu’on en compte un sur moins de dix maisons), on a chance de se voir en peu d’années à la tête d’une valeur appréciable, toujours croissante. Progressivement on arrive à se donner plus de bien-être. Dès le principe, d’ailleurs, on a pu se faire aider. Il n’en est pas de l’Algérie comme des steppes américaines, où il faut absolument que le pionnier se suffise à lui-même,