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comme les Philistins se servirent des ciseaux de Dalila pour tondre Samson et détruire sa force. L’église entend mal ses intérêts. La femme ne peut agir sur l’homme qu’à la condition de savoir la langue qu’il parle et d’être elle-même capable de la parler. Celle qui peut dire : « Je sais et pourtant je crois, » a plus de chances d’être écoutée que celle qui méprise ce qu’elle ne sait pas et qui adore ses ignorances comme des reliques.

Nous avons eu peu de ministres de l’instruction publique qui aient su comme M. Duruy faire beaucoup de choses avec de médiocres ressources, accomplir d’importantes réformes sans charger le budget, laisser mûrir les fruits avant de les cueillir et obtenir de la persuasion ce qu’on refuse souvent à l’autorité. Quand il créa les cours d’enseignement secondaire pour les jeunes filles, il s’adressa d’une part aux municipalités, de l’autre aux professeurs de lycées et de collèges ; on se concerta, on s’entendit à l’amiable, et en peu de mois les cours étaient ouverts dans quarante villes. Ses successeurs ont poursuivi et achevé son œuvre, sans imiter toujours sa judicieuse réserve et sans compter avec la fortune publique. Les démocraties veulent tout faire à la fois, elles ont l’humeur brusque et intempérante. Mme de Maintenon composa jadis un dialogue, où elle mettait en scène les vertus cardinales. Chacune prononçait son propre éloge ; la tempérance, dont elles pensaient pouvoir se passer, parla à son tour et leur dit : « Vous, justice, vous êtes souvent amère et désagréable ; je vous empêcherai de trop peser sut la faiblesse des hommes. Vous, force, vous les mettez au désespoir ; je vous modérerai, et vous ne pousserez plus tout le monde à bout. Vous, prudence, je m’opposerai à vos incertitudes, à votre timidité qui va souvent trop loin. Vous penchez toutes aux extrémités ; c’est moi qui mets des bornes à tout, qui prends ce milieu si nécessaire et si difficile à trouver. On ne peut rien faire de bon sans mon secours, et la sagesse même ne peut se passer de moi, car il faut être sobre même dans la sagesse. »

On a mis du luxe où il n’en fallait point mettre, on s’est hâté, on a fait grand ; l’offre n’a pas toujours attendu la demande, la production a excédé la consommation. Il semblait qu’on n’aurait jamais assez d’instituteurs et d’institutrices, et si nous sommes bien informés, il y a aujourd’hui plus de dix mille brevetés et brevetées qui demandent une place et qu’on ne peut placer, de même qu’il y a, dit-on, à la Sorbonne quarante-cinq licenciés dont on ne sait que faire. Quant aux collèges et aux lycées de jeunes filles, on les a multipliés avec trop d’empressement, on n’a pas assez compté sur la contagion lente du succès. Quelques-uns végètent ou sont mal dirigés, et leur prospérité a été compromise par l’intervention indiscrète d’un conseil municipal et par des querelles de clocher. Cela dit, quiconque a vu de près les choses