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créent d’étranges précédens. Ils ne s’aperçoivent pas qu'ils justifient d'avance tous les procédés dont ils pourront à leur tour être les victimes. Ils ont perfectionné le système des invalidations, et, le jour où ils n’auraient plus la majorité, ils ne pourraient plus se plaindre si on leur appliquait la loi qu'ils ont faite. Ils donnent des formes nouvelles à la candidature officielle en se servant de toutes les forces de l’état, au risque de compromettre le gouvernement lui-même dans l’intérêt de leurs prétentions ou de leurs vengeances.

Le grand grief des républicains au sujet des dernières élections, celui qui les unit toujours, c’est l’intervention du clergé, et M. le ministre des cultes, il faut l’avouer, met consciencieusement au service de ces passions tous les moyens répressifs et discrétionnaires dont il dispose ou dont il croit pouvoir disposer. M. le ministre des cultes continue sa campagne de suppression des traitemens ecclésiastiques sans pouvoir invoquer un droit qui n’existe réellement pas et sans s'apercevoir que, dans les départemens où il y a des invalidations, ces sévérités deviennent tout simplement un mode d’intimidation électorale, une forme de la pression administrative. Qu'en est-il cependant? Quel est le caractère de cette intervention du clergé qu'on croit devoir frapper de peines pécuniaires? Sans doute, il est possible que des prêtres aient exprimé avec plus ou moins de vivacité leurs opinions, et il est certain que les sentimens religieux froissés ont eu autant de part que les affaires du Tonkin dans le vote des populations; mais, après tout, c’est la conséquence d’une situation qu'on a créée. Depuis près de dix ans, on a cru devoir inaugurer une politique d’agression perpétuelle contre les catholiques et leur église, tantôt à propos de l'enseignement ou du budget des cultes, tantôt à propos de la loi militaire ou des institutions de bienfaisance. Les populations ont exprimé leurs sentimens par leurs votes, et il se peut aussi que les prêtres n’aient pas gardé le silence sur une politique par laquelle ils se croient menacés. Ils défendent leur foi, leur culte, leurs croyances, qui sont les croyances d’une partie de la nation française: c’est leur droit. Ont-ils dépassé la mesure? s’ils ont commis des délits, s’ils ont manqué aux lois, il y a un moyen bien simple, on n’a qu'à les traduire devant les tribunaux dont ils sont justiciables, comme tous les autres Français; s'il n’y a ni délits, ni fautes saisissables contre les lois, c’est donc une guerre d’opinion et de tendance qu'on poursuit par des amendes de bon plaisir! Et pour soutenir cette guerre, à quels moyens M. le ministre des cultes est-il obligé de recourir? Il est réduit à écouter toute sorte de délations, d’histoires démenties aussitôt qu'elles sont connues. Il frappe aveuglément, — il s’expose à s’entendre dire ce que lui disait hier encore M. l’évêque de Nîmes : « Accusés sans le savoir, nous sommes condamnés sans débat et exécutés sans délai. » c’est le