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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/312

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a quelques, années : la mission d’effectuer l’unité politique de la région aralo-caspienne en général et de la steppe turcomane en particulier, à la grande satisfaction du sentiment national des Usbeks et des Tekkés.

Qu’on ne s’y trompe pas, si singulière, si naïve ou cynique que puisse nous paraître une semblable prétention, la domination russe en peut un jour tirer une force réelle avec une impulsion nouvelle. Ces considérations ethnographiques et géographiques ont, en tous cas, convaincu des Russes, de tendances bien diverses, de l’inéluctable nécessité d’étendre vers le sud les nouvelles frontières asiatiques de l’empire. Sur ce point, le prince Kropotkine, le géographe nihiliste, se trouve d’accord avec M. Katkof, le principal instigateur de la politique rétrograde. Tous deux, à cet égard, font valoir des argumens analogues. « Le Turkestan afghan doit rejoindre le Turkestan russe, » écrivait récemment, non sans une patriotique tristesse pour les monstrueux accroissemens de son énorme patrie, le prisonnier de Clairvaux. Grâce au général Komarof, cette prédiction est déjà en voie de s’accomplir et il est permis de douter que des mémorandums et des accords diplomatiques du genre de celui de 1875 en arrêtent longtemps la réalisation[1].

Si différens que soient les deux pays, on se demande, en présence de telles tendances, si l’Afghanistan, dont certains Anglais rêvaient de faire une Belgique ou une Suisse asiatique, ne finira point par avoir le sort de la Pologne, par être rogné et découpé par ses puissans voisins, sous prétexte de troubles intérieurs, de rectifications de frontières et de revendications nationales ; avec cette différence qu’au lieu de trois copartageans, il n’y en aura que deux, si encore les hésitations ou les scrupules de l’un ne laissent toute la proie à l’autre. L’exemple même de la Pologne et de l’Autriche de Marie-Thérèse prouve, il est vrai, qu’en matière de partage, un gouvernement peut à contre-cœur se résigner à des nécessités politiques qu’il est le premier à déplorer. Il est vrai, d’autre part, que l’Angleterre n’a cessé de proclamer, vis-à-vis de la Russie, le double principe de l’indépendance et de l’intégrité de l’Afghanistan ; mais on connaît d’autres états musulmans, dont la diplomatie avait en des traités solennels maintes fois consacré l’indépendance et l’intégrité, et qui n’en ont pas

  1. Voyez, dans le Nineteenth Century, de mai 1885, l’étude du prince Kropotkine intitulée the Coming War. Dans sa Géographie universelle, Elisée Reclus, qui, on le sait, a eu pour auxiliaires Kropotkine et d’autres savans russes, n’a pas attendu l’occupation de toute cette zone par les troupes du tsar pour l’annexer au grand empire boréal. c’est ainsi qu’il a fait figurer dans l’Asie russe la plupart des points contestés entre les Afghans et le Turkestan, et jusqu’aux petits khanats du Haut-Oxus que le mémorandum de 1873 reconnaît explicitement comme parties intégrantes des états de l’émir de Caboul. Parmi les écrivains russes je citerai, entre autres M. Vénioukof, Rossia i Vostok, p. 223-229.