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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/355

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qu’ils y sont en majorité ? L’illusion provient de ce que les relevés sont fournis par les autorités ecclésiastiques, qui comptent comme Grecs tous ceux qui appartiennent à l’église grecque. C’est ainsi que nous disons qu’en Bosnie il y a parmi les chrétiens plus de grecs que de catholiques. Les mots roum-meleti sont employés en Macédoine pour désigner, en même temps, les personnes appartenant au rite grec et à la nationalité grecque.

J’ai réuni un dossier des faits circonstanciés et authentiques qui montrent les souffrances sans nombre et sans nom des Bulgares en Macédoine. C’est un martyrologe qui remplirait un volume. Pour qu’on ne m’accuse pas de préventions, il me suffit de dire que leur situation est semblable à celle de la Bulgarie sous le régime turc, telle qu’elle a été décrite par Blanqui, il y a quarante ans : « En Turquie, la perception s’exerce chez les retardataires par voie de garnison militaire à domicile. Les soldats s’installent chez le contribuable jour et nuit, boivent et mangent, fouillent partout, disposent de tout comme de leur propriété personnelle et ne laissent ni paix, ni trêve aux habitans. La Bulgarie fut bientôt couverte de garnisaires, principalement dans la ville de Nissa et dans les villages avoisinans. Sur quelques points, ces garnisaires furent tués. Sabri-Pacha, qui commandait la province, fit venir des Albanais. Ces Arnautes se répandirent dans toute cette partie de la Bulgarie, et ils exécutèrent militairement, comme dans une ville prise d’assaut, les malheureux habitans de la campagne. L’Europe, qui porte avec raison un si vif intérêt à la cause des noirs, ne sait pas assez qu’il existe à ses portes 7 millions d’hommes, chrétiens comme nous, qui sont traités comme des chiens, en leur qualité de chrétien… Un seul mot suffirait pour mettre un terme à ce scandale : quand l’Europe le dira-t-elle ? On a fait tant de coalitions dans des intérêts politiques, n’en pourrait-on faire une dans l’intérêt de l’humanité ? »

Quelle différence entre cet enfer et la situation de la Bulgarie affranchie ! Malheureusement, le sort des Bulgares Macédoniens est bien plus affreux aujourd’hui que celui des rayas décrit par Blanqui, parce que Turcs et Grecs, craignant de voir un jour se réaliser la grande Bulgarie constituée à San-Stefano, unissent leurs haines et leurs moyens de nuire, pour restreindre et extirper, s’il se peut, l’élément slave. On peut diviser les maux qui accablent les infortunés Bulgares en trois chapitres : le brigandage, les extorsions et les violences de begs turcs et la persécution religieuse de la part des prêtres phanariotes. Des bandes de brigands infestent toute la province jusqu’aux abords de la capitale. Ainsi un consul, un capitaine de la marine britannique et récemment une dame anglaise ont été enlevés dans les faubourgs de Salonique et relâchés moyennant d’énormes rançons. Dans l’intérieur, presque chaque jour, un voyageur