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mécontentemens et aux inquiétudes qui se manifestaient au midi. L'anarchie morale qui régnait au-delà du Main n’avait rien qui pût l'effrayer ; elle ne pouvait que faciliter et hâter sa tâche. Le sentiment de la peur était son plus utile auxiliaire auprès des souverains, et il ne doutait pas que, s’ils hésitaient encore à se plier sous sa volonté, leur parti ne fût pris bien vite entre l’hégémonie de la Prusse, qui ne leur enlevait qu'une partie de leur indépendance, et la révolution, qui les renverserait de leurs trônes. Mais il entendait ne rien précipiter ; il était trop avisé pour abuser de ses avantages, il préférait temporiser, négocier, plutôt que de provoquer des situations violentes qui, en le mettant en contradiction avec ses déclarations officielles, auraient soulevé peut-être des difficultés internationales. Sa politique lui commandait de se montrer conciliant avec les gouvernemens disposés à respecter leurs engagemens. Il avait trop pratiqué les cours allemandes pour ne pas connaître leurs susceptibilités et leurs méfiances; c’est en ménageant leur amour-propre, en évitant toute pression ostensible, en colorant ses exigences de l’idée nationale, qu'il comptait les amener à ajouter aux sacrifices que leur avait coûtés la guerre le plus grand de tous : celui de leur indépendance. Imposer aux ministres convertis à sa politique des conditions trop dures ne pouvait servir qu'à fournir des armes à leurs adversaires et à précipiter leur chute.

Le cabinet de Berlin désirait avant tout ménager et consolider le ministère bavarois, violemment battu en brèche par les partis extrêmes. Le prince de Hohenlohe était alors premier ministre en Bavière. Il avait hérité d’une lourde et pénible succession ; il remplaçait le baron de Pfordten, dont la politique ambiguë avait valu à son pays d’humiliantes défaites, une perte de territoire et une grosse rançon. Le président du conseil du roi Louis offrait à M. de Bismarck toutes les sécurités; ses attaches prussiennes, son talent et sa loyauté l’autorisaient à croire que, sans manquer de fidélité à son souverain et à son pays, il ne serait pas défaillant le jour où on lui demanderait d’exécuter les traités d’alliance souscrits par son prédécesseur.

La Bavière, dominée par les événemens, en était réduite, pour n'avoir pas su pressentir le vainqueur en 1866 et répondre à ses avances, à transiger avec d’implacables nécessités. Les temps étaient passés où un ministre ambitieux, M. de Montgelas, cherchait ses points d’appui à l’étranger. On ne pouvait plus aspirer à être la seconde puissance en Allemagne, l’arbitre écouté entre l’Autriche et la Prusse ; il ne restait plus qu'à se précautionner contre de dangereux empiétemens et à défendre les dernières prérogatives de la couronne. Il fallait, pour s’acquitter d’une tâche pareille, de l’abnégation, une rare souplesse d’esprit et surtout l’autorité que donne