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L'empereur attachait, en effet, une importance exceptionnelle à l’article 5 du traité de Prague, lequel consacrait un principe qui lui était cher : celui des nationalités. Il y voyait comme la confirmation du vœu qu'il avait solennellement émis à la veille de la guerre, dans son manifeste du 11 juin 1866. Il avait à cœur aussi de venir en aide au Danemark et de racheter par une assistance, malheureusement tardive, les erreurs de sa politique qui avaient eu pour notre plus ancien et plus fidèle allié de si funestes conséquences. C’était pour lui un cas de conscience et presque de remords. Mais les démarches qu'il prescrivait à sa diplomatie n’avaient rien que de légitime et de pacifique ; c’était par la persuasion et non par une mise en demeure qu'il espérait amener le cabinet de Berlin à lui prouver que, sur cette question du moins, après l’oubli de tant de promesses, on tenait à le satisfaire et à ne pas méconnaître l’autorité de sa médiation. Il se refusait à comprendre que le gouvernement prussien était inaccessible à des considérations fondées sur les services rendus, que la reconnaissance en politique était pour lui un mot dénué de sens.

M. de Bismarck ne contestait pas la validité de l’article 5 du traité de Prague, mais l’ayant subi sous la pression de notre intervention, il entendait l’interpréter à sa guise, dans la mesure la plus restreinte. Il trouvait étrange que la diplomatie française intervînt ostensiblement dans ses pourparlers avec la cour de Copenhague après les assurances qu'il lui avait fournies. Il ne se l’expliquait qu'en nous prêtant l’intention d’exploiter la question danoise avec l’arrière-pensée de nous assurer un prétexte pour de futures agressions. Aussi, pour se mettre à l’abri des surprises, le gouvernement prussien invitait-il ses agens diplomatiques à surveiller plus que jamais les manifestations de notre politique et donnait-il l’ordre à ses états-majors de se tenir prêts à toutes les éventualités. On croyait les passions éteintes après les franches et cordiales explications échangées à Paris entre les souverains et déjà elles se ravivaient.

A Pétersbourg aussi, mais pour des motifs bien différens, les souvenirs rapportés de France commençaient à s’altérer. Le prince Gortchakof était redevenu défiant ; la présence du sultan à Paris lui causait des insomnies, et lui inspirait des réflexions sarcastiques. Il reprochait à M. de Moustier son faible pour les Turcs, déjà il le voyait converti à l’islamisme. Il craignait que le chef des croyans ne jetât sur lui quelque charme magique et ne lui fît oublier les sermens qu'ils avaient échangés dans un pro-memoria solennel. Il avait peur surtout que l’éclatant accueil fait à Abdul-Azis ne rehaussât son prestige en Orient, au détriment de l’influence européenne et que, par suite, l’entente de la France et de la Russie, si secourable aux chrétiens, ne perdît de son autorité. Il nous faisait entendre qu'il considérerait