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question principale. Toujours est-il que, par le fait d’une intervention inopportune et par suite d’un acte de confiance, perfidement interprété, le gouvernement de l’empereur se trouvait encore une fois acculé dans une impasse. Relever le procédé du cabinet de Berlin et maintenir notre droit de veiller à l’exécution d’un traité qui ne portait pas notre signature, c’était fournir des argumens au parti militaire en Prusse et s’exposer à un conflit. Tout semblait indiquer qu'on cherchait, de propos délibéré, à nous pousser à des résolutions inconsidérées. « Les journaux prussiens, télégraphiait M. de Moustier, continuent la polémique la plus insultante. Je viens de lire dans la Correspondance de Berlin un article odieux. Quand tout cela finira-t-il? »

La sagesse fort heureusement prévalut dans les conseils de l’empereur. M. de Moustier, qui avait procédé à une évolution diplomatique si habile au mois d’avril, dut opérer cette fois une retraite peu glorieuse. « Nous n’avons pas voulu mettre la Prusse en demeure de s’expliquer sur ses intentions, télégraphiait-il à notre chargé d’affaires, nous avons voulu seulement lui faire connaître notre sentiment. Nous regretterions vivement que le comte de Bismarck pût se méprendre sur la nature de nos observations. Il doit être parfaitement rassuré sur nos intentions et demeurer convaincu qu'en aucune circonstance nous ne nous exposerions au reproche de blesser les susceptibilités d’une puissance voisine. » Le comte de Bismarck n’en demandait pas davantage. Le lendemain, la presse officieuse, la veille encore si agressive, s’indignait des bruits que faisaient courir les journaux de Paris et de Vienne sur un prétendu désaccord entre la France et la Prusse à propos du traité de Prague,

L'incident était clos, mais ce n’était qu'une trêve. L’entrevue de Salzbourg devait fournir, peu de jours après, au chancelier fédéral un prétexte nouveau pour raviver avec plus de violence les passions à peine assoupies.

L'empire était sur le chemin du Calvaire ; il était condamné à le gravir d’étape en étape jusqu'au jour de l’expiation finale des erreurs qu'il avait commises en altérant systématiquement tous les élémens qui avaient assuré à la France sa sécurité et son prestige.


G. ROTHAN.