Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV.

Les légistes, après avoir été les patrons dévoués des paysans dans leurs légitimes revendications, servirent de guide à la constituante dans la refonte de la société civile. Les noms de ces admirables et vaillans bourgeois sont gravés, pour la plupart, dans le martyrologe de la révolution. Ceux qui survécurent, apportèrent, sous le consulat, la même volonté que le premier jour à l’achèvement de leur œuvre sociale et la firent définitivement consacrer. Ils n’avaient pas tous le caractère à la hauteur du talent; mais, par leurs défauts, ils montrèrent que la classe dont ils étaient sortis était plus encore jalouse d’égalité que de liberté. Ils avaient voulu l’une surtout pour assurer l’autre.

Au milieu de cette foule d’hommes d’un sens droit et d’une intelligence vaste, comment ne pas nommer Merlin? Il est impossible de ne pas admirer ce labeur gigantesque qui lui permit de suffire à tout. Presque à lui seul il a, dans le comité féodal, réalisé en détail et avec précision l’abolition décrétée en principe seulement dans la nuit du à août. Cette œuvre d’un profond savoir, il en est le commentateur lumineux dans un recueil célèbre ; presque seul il verra clair dans cette confuse législation intermédiaire. Investi du ministère de la justice, non-seulement il sera administrateur, mais il trouvera le temps de répondre directement aux tribunaux, aux officiers du ministère public, même aux juges de paix qui le consultent sur des questions de droit embarrassantes. Procureur-général à la cour de cassation, il consolidera la révolution par une jurisprudence immuable dans ses grandes lignes. Pourquoi faut-il que tant de talent, une raison si lumineuse, un esprit si audacieux dans ses conceptions juridiques, une volonté si persistante dans l’organisation de la nouvelle société civile, aient été associés souvent à tant de faiblesse de caractère et à des mesures qui ont dû peser sur sa conscience?

Ce ne sera pas le seul exemple où, dans ce monde de haute bourgeoisie, nous trouverons des taches qui feraient presque désespérer des vertus de notre race. Saluons du moins, à cette aube éclatante et pure de leur vie publique, les représentans de l’esprit bourgeois qui apportèrent à la constituante tant d’amour de l’humanité, tant de vigueur dans le dernier assaut livré à l’ancien régime, tant de confiance dans l’avenir et tant d’enthousiasme désintéressé dans une entreprise grandiose !

Il est des noms parmi eux qu'on répète volontiers, ceux de Lanjuinais, de Le Chapelier, de Thouret, d’Enjubault, de Rœderer, celui de Tronchet, si vénéré qu'un décret l’appelait un jour à la tribune