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de l’assemblée pour qu'il donnât son avis ; Tronchet, une âme si parfaite que, en 1807, lorsque la mort le frappa, les juges les plus sévères s’inclinèrent devant cette renommée sans tache et cette sévère probité. Il en est d’autres encore dont nous réveillerons les ombres respectées : Malouet, en qui l’Auvergne avait mis son bon sens politique et ses facultés équilibrées ; Mounier, le plus passionnément raisonnable d’eux tous, le mieux préparé à un rôle important dans les jours de liberté calme ; Barnave, le plus éloquent et le plus sincère de ces jeunes hommes que la philosophie et le droit avaient formés ; Adrien Duport, qui n’avait pas été élu par le tiers état, mais qui lui appartint, dès le premier jour, par sa mâle attitude, par ses sentimens démocratiques; Duport, à qui nous devons l'introduction du jury. Tous, pleins d’illusions et épris de justice ; tous, il est vrai, dominés par les abstractions; mais est-ce que les abstractions sublimes ne gouvernent pas les âmes, ne grandissent pas les caractères en élevant les pensées !

Dès les premiers jours de la constituante, le vote individuel avait été substitué au vote par ordre ; toute distinction de rang et de préséance entre les députés avait été prohibée ; l’admissibilité, sans distinction de naissance, aux emplois civils et militaires, avait été proclamée; et, comme un symbole est nécessaire aux yeux pour constater le triomphe d’une idée, la destruction de la Bastille prenait ce caractère pour la bourgeoisie.

Le lendemain du 14 juillet, Etienne Delècluze, tout enfant, se promenait sur les boulevards avec son père : « Qu'est-ce donc que la révolution? lui demanda-t-il. — Il est bien difficile de te répondre... Si tu étais plus grand... Tiens, je ne puis mieux faire qu'en te disant que la révolution détruit toutes les distinctions entre les hommes. Désormais, il n’en existera plus qu'une : celle que la science et l’instruction mettront entre les ignorans et les savans. Aussi, travaille bien, si tu veux te distinguer. Il n’y a plus d'autre noblesse. »

La bourgeoisie avait fondé la démocratie. La déclaration des droits ne fut que le frontispice des principes nouveaux. La bourgeoisie voulut établir la justice à tout jamais, dans la société moderne, lui restituer son ordre naturel : elle abolit donc la féodalité, et avec la féodalité, tous les droits qui en découlaient. Non pas que la seigneurie fût encore celle du moyen âge et même celle du XVIe siècle ! Elle n'exerçait plus, à proprement parler, d’influence juridique sur le classement des personnes. Le roturier, comme les nobles, pouvait devenir possesseur de droits féodaux ; ces droits étaient d’autant plus faciles à posséder que la plupart n’étaient que fiscaux et échappaient aux embarras de l’exploitation. Mais ils paralysaient si bien la culture qu'Arthur Young, en 1787, s’écriait : « Ah ! si j’étais