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VII.

S'il ne se fût agi que de rester dans la sphère supérieure des principes et des libertés individuelles, ces hommes illustres n’auraient éprouvé ni hésitation ni embarras. Ce sera leur éternel honneur qu'après avoir proclamé la souveraineté nationale et revendiqué, pour les représentans de la nation, le droit de faire la loi et de voter l’impôt, ils voulurent aussi donner au monde entier une charte modèle. Les libertés du citoyen étant le but, la fin de toute organisation politique, ils en déduisirent toutes les conséquences passées aujourd'hui dans notre sang. Les crimes seront personnels et la confiscation est abolie ; toute entrave mise à l’association industrielle est supprimée ; le secret des lettres est inviolable ; la presse est déclarée libre ; quiconque signe ou exécute l’ordre d’arrêter un citoyen, hors des cas strictement déterminés, est frappé des peines les plus sévères. Mais il ne suffit pas de proclamer des libertés et des droits pour qu'ils aient la vie, il faut les placer sous la protection d’institutions assez larges pour qu'ils se développent, assez fortes pour qu'ils soient garantis de toute atteinte. Les divergences, les incohérences, les préventions éclatèrent alors; mais jusqu'au moment où l’on se heurta aux réalités, on eût plu croire, dans ce tournoi d’opinions métaphysiques, que l’assemblée n’était qu'un congrès de philosophes.

Hormis un faible groupe, dont Mounier, Malouet, Bergasse étaient les orateurs et qui voulait prendre pour type la constitution anglaise, la chimère que la haute bourgeoisie poursuivit, était une royauté démocratique, avec une assemblée souveraine et unique. C'est à peine si, sur les bancs supérieurs de la gauche, trois ou quatre députés, alors obscurs, apercevaient vaguement la république au bout de leurs théories. Au milieu de la confusion des idées, les conditions fondamentales du gouvernement représentatif se posèrent néanmoins, mais sans méthode et sans le calme nécessaire à de pareilles délibérations. Ce calme était impossible, au milieu des ruines d’une ancienne société détruite et sous l’œil de Paris affamé, inquiet, méfiant, irrité.

Parmi les questions constitutionnelles, en est-il de plus importantes que les rapports du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, la division en deux chambres, la responsabilité ministérielle et le point de savoir auquel des deux pouvoirs reste le dernier mot s’il survient entre eux un dissentiment grave? Les députés les plus influens des classes moyennes firent successivement partie du comité de constitution, comité dont les membres se renouvelèrent fréquemment. Nous savons bien le fond de leurs doctrines. Rien