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On ne peut donc apprécier qu'au juger le rapport entre sa richesse absolue et celle des treize autres provinces ; mais il n’est pas douteux que, sur ce chapitre, le manque d’équilibre entre les états confédérés ne fût tout aussi accentué, et qu'en matière de valeurs déjà créées, Buenos-Ayres n’eût représenté, comme en matière d’impôts, les trois quarts de l’inventaire total de la république. Un détail qui a son éloquence, c’est qu'en 1880, sur 6,865,000 lettres manipulées dans les bureaux de poste argentins, 5 millions appartiennent à ceux de la province. C’est toujours la même proportion, 75 pour 100 ; on la retrouve dans toutes les manifestations de la vie économique. Voici un autre fait concluant : tandis que la Banque nationale, qui avait pour principal actionnaire et pour protecteur décidé le gouvernement central, menait depuis plusieurs années, avant 1880, une existence précaire, la Banque de la province, devenue un des établissemens financiers les plus considérables de l'Amérique du sud, pouvait en mainte occasion délicate et pressée mettre ses ressources et son crédit au service de la nation.

Et voilà pourquoi il parut utile et équitable aux autres provinces, qui trouvèrent leur belle en 1880, à la suite d’une révolution du reste aussi mal engagée que mal conduite par le gouvernement local de Buenos-Ayres, de couper en deux cet état trop peuplé, trop encombrant, trop prospère. A une manière plus large d'entendre la politique il joignait d’inquiétantes ressources pour faire prévaloir ses vues. Il fallait bien vite changer tout cela avant qu'il devînt décidément prépondérant. La ville, avec ses 300,000 habitans, son port, un des plus fréquentés des côtes hispano-américaines, et le prestige attaché au berceau de l’indépendance des républiques du Sud, fut adjugée au gouvernement national. Jusque-là, il n’y était toléré que comme un hôte; il y fut désormais chez lui. Tout le groupe des conquérans de Buenos-Ayres en conçut un tel orgueil que, durant longtemps, il affectait d’appeler le gouvernement de la province, désormais hôte et toléré à son tour, « un gouvernement rural. »

Ce n’est pas le moment de juger la révolution de 1880, qui ne touche qu'indirectement à notre sujet. Elle a certainement donné plus de cohésion à une république où il était à craindre qu'on n’en vînt à pousser le principe de l’autonomie des provinces jusqu'à l'émiettement et l’anarchie. En ce sens, elle représente un progrès. Chose singulière, et qui prouve combien les destins logiques